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au prince Michel Dolgorouky de tenir avec beaucoup de dignité le rôle scabreux que les convenances et le loyalisme imposent au frère d’une favorite.

Pendant les séjours de l’Empereur à Tsarskoïé-Sélo, à Péterhof et à Livadia, elle y louait une villa.

Au Palais d’hiver, l’ancien cabinet de Nicolas Ier leur offrit de nouveau son hospitalité austère et sûre.

A Tsarskoïé-Sélo, ils se rencontraient dans une petite chambre, située à l’extrémité de l’aile qui s’étend devant la roseraie de Catherine II. L’installation était plus que simple : la pièce, éclairée par une seule fenêtre, ouvrait directement sur le vestibule qui accédait aux appartements privés du Tsar ; elle ne contenait qu’un lit, deux chaises, une table et une toilette.

A Péterhof, ils retrouvaient leur cher pavillon de Babygone.

A Livadia, où la résidence impériale ne consistait alors qu’en un chalet de bois, l’Empereur, ne pouvant y cacher aucun de ses gestes, allait voir son amie chez elle.


Toute absorbée dans son amour, la jeune princesse menait une vie de pénombre et de réclusion.

Elle n’acceptait jamais à diner ; elle n’allait jamais au théâtre. On ne la rencontrait guère que dans les bals où assistait l’Empereur, parce qu’elle dansait à merveille et que c’était, pour lui, un enchantement de la voir danser.

De même, il l’avait nommée demoiselle d’honneur de l’Impératrice, afin qu’elle eût ses entrées à la Cour et qu’elle ornât de sa beauté les réceptions officielles.

Hautaine et sèche, la Tsarine délaissée accueillait avec son plus froid sourire les révérences de sa jeune rivale. D’ailleurs, elle se méprenait grandement sur la trahison nouvelle de son époux ; elle n’y voyait qu’une aventure banale dont il se lasserait vite..., comme des précédentes. Mais pouvait-elle ne pas juger ainsi ? Sa fierté, sa droiture, le souvenir de leur amour ancien, tout lui interdisait d’imaginer le serment sacrilège de Babygone : « A la première possibilité, je t’épouserai. » Car enfin, cette « possibilité, » c’était sa mort !

Dans leurs rencontres quotidiennes et clandestines, les deux amants goûtaient un rare bonheur. De cette vierge ignorante,