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s’était mépris sur l’accueil du Tsar : il aurait, dit-on, attaché trop d’importance à des paroles aimables, compatissantes, laudatives même, qui s’adressaient moins au négociateur qu’à l’homme d’État illustre et universellement respecté.

Pourtant, à peine l’audience terminée, Alexandre II confiait à sa maîtresse la vive impression sous laquelle il venait de quitter le plénipotentiaire français.

— Il m’a intéressé passionnément. Quelle intelligence merveilleuse !... Et quelle foi dans le relèvement de la France ! Il croit même qu’elle set relèvera si vite qu’il est allé jusqu’à m’offrir son alliance... C’est un noble cœur et un grand patriote. Je voudrais faire quelque chose pour lui...

Mais il ne fit rien ; car il ne concevait pas encore le péril que représentait, pour la Russie, la création d’une grande Allemagne unifiée. Il ne devait le concevoir que trois ans et demi plus tard, quand éclata la crise de 1875.


Vers les derniers jours de ce même automne, un événement grave, intime et trop naturel, vint troubler le tranquille bonheur des deux amants. Catherine-Michaïlowna se reconnut enceinte.

Elle n’en éprouva que de la joie, une joie illuminante et fière, comme à un éveil subit et radieux de l’instinct maternel. Alexandre-Nicolaïéwitch en fut bouleversé.

D’abord, il y voyait pour elle une flétrissure ineffaçable, la révélation publique de son déshonneur. Certes, la crainte de la Chancellerie secrète inspirait à toute la société russe un tel respect de la Majesté impériale, qu’on se garderait bien de clabauder à voix haute. Mais, entre soi, portes closes, que ne dirait-on pas ?...

Une considération, où la morale n’avait rien à faire, le désolait encore. Dans le ravissement que lui causait la beauté de sa maîtresse, l’idéalisme esthétique tenait presque autant de place que le désir et la volupté. Il admirait en elle la perfection pure, le modèle accompli du corps féminin. Mû par un pressentiment superstitieux, il s’imaginait qu’en la rendant mère, il l’exposerait à un péril mortel.

Mais tout se passa pour le mieux. Elle mena sa grossesse à terme, sans le moindre accident. Jusqu’au dernier jour, personne