Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/344

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et son poète, ou s’en allaient à la Grande Chartreuse et à Voreppe visiter le Médecin de campagne. Cependant les affaires amoureuses de Balzac n’avançaient guère : « Ici, écrivait-il au bout de quelques jours à Mme Carraud, je suis venu chercher peu et beaucoup. Beaucoup, parce que je vois une personne gracieuse, aimable ; peu, parce que je n’en serai jamais aimé. Pourquoi m’avez-vous envoyé à Aix ?... »

L’affectueuse Madame Carraud, inlassable confidente, répondait :


10 septembre 1832.

Que j’étais loin, mon Dieu, de vous supposer malade ! Je me consolais de votre silence en vous sachant heureux. Ce jour brillant après lequel vous soupirez, je le croyais levé, et je pardonnais votre oubli à l’ivresse dont je vous croyais envahi. Pauvre Honoré ! vous souffrez, et ce n’est point moi qui vous soigne ! Le seul privilège dont je fusse jalouse, le sort me le dénie. Enfin, vous voyez la fin de votre mal, moi je l’ai ressenti tout en une heure, c’était trop pour si peu de temps. Vous m’assurez d’un travail de douze heures : tant mieux ; mais quand il vous prendra de ces fainéantises dont les amis avec lesquels vous êtes ne peuvent jamais se plaindre, puisqu’elles sont tout à leur profit, rejetez-vous sur cette nature qui vous entoure. Cher Honoré, la vue de ces belles montagnes, de ces lacs, de toute cette nature alpine couverte d’un ciel fait à bella porta, rendront votre esprit presque libre des mille préjugés qui l’encombrent, tout vaste qu’il est. Oui, Seigneur, c’est moi, infime, qui ose parler ainsi à l’idole du jour ; c’est que ses adorateurs la mordent au besoin, et moi, je l’aime, ce qui est bien plus difficile que de l’adorer. Quoi, en effet, de plus facile que l’exagération ? Mais le vrai, le vrai, Honoré, est aussi rare dans la vie réelle que dans les productions de l’esprit, et vous savez ce qu’il en coûte là pour y parvenir. Oui, monsieur, vous avez des préjugés que je voudrais pouvoir prendre pour vous en purger, car qu’importerait à mon obscurité une idée plus ou moins lucide ? mais vous, vous sur le piédestal, vous que l’on dissèque pour vous trouver un vice de conformation, laisser tant à mordre ! c’est à enrager pour toute la vie.

Et ces idées infléchies (c’est par politesse que je ne dis pas fausses), vous vous les entonnez de force, comme on fait la pâture aux volailles à l’engrais. Vous avez l’esprit juste par essence ;