Travailler là où vous êtes, ou bien chez moi, n’est pas du tout la même chose. Respirer à Paris est déjà un travail, et vous n’avez vraiment pas besoin d’ajouter au vôtre. Je vous veux donc ici maintenant, non plus pour moi, mais pour ceux qui vivent de vous. Vous êtes attendu à Naples, m’a-t-il dit ; tant de voyages, tant de travail ! Faudra-t-il donc que je m’efface, moi qui vous aime le mieux ? Pourtant, j’espère encore, en dépit de moi-même. J’avais si bien compté sur vous ! Nous avions bâti nos joies sur votre gaîté ; je reposais mon esprit dans le vôtre.
C’est bien quelque chose que d’avoir eu quelqu’un qui s’est chauffé à votre feu, qui a foulé vos tapis, qui, d’un coup d’œil, a embrassé votre bibliothèque ! Aussi, à première vue, mon regard l’a enveloppé, pour le dépouiller de tout ce qui lui restait de votre atmosphère et me l’approprier. Je n’ai pas fait un vol, car il n’y pouvait tenir. Ce sont parties trop subtiles pour ses vulgaires organes. C’est bien une émanation de vous, mais ce n’est pas vous. Je ne puis asseoir mes idées sur votre présence à la Poudrerie. Le volcaméria n’est pas fleuri ; comme vous, il trompe mon attente, et mes soins n’y font rien. Je suis dans une période de mécomptes ; les vases dont Lucile vous avait parlé ont cassé au feu. J’y tenais ; c’était un coin de la Poudrerie chez vous. Vous aurez quelque chose qu’on ne trouve pas à Paris, mais ce ne seront point les vases.
On vient me chercher pour diner chez le commissaire ; depuis ce matin, ils me préoccupent. Cela vous ravit de bonnes pages, mais non le baiser d’étrennes que je vous destinais. Je comptais bien qu’il serait immédiat. Enfin ! patience. Rassurez-moi.
Balzac ne la rassura point, bien au contraire. Les pires soucis assiègent le romancier, les imprimeurs lassent sa patience, sa mère le quitte, les veilles et le café le tuent. L’espoir du repos fuit devant lui et il termine l’année 1832 à Paris, rue Cassini, écrasé de travail.
MARCEL BOUTERON.