à Jean-Paul. Le fait est que M. Pirandello a passé par l’Allemagne, et qu’il lui en reste quelque chose. Il a achevé ses études à l’Université de Bonn ; ce fut l’événement de sa vie. Le prestige de l’Allemagne, à la fin du siècle dernier, était immense dans le monde ; l’Allemagne régnait sur l’Europe par ses victoires, par sa culture, par son industrie grandissante et par son organisation ; autant que par ses hommes d’Etat et par ses généraux, elle régnait par ses philologues et par ses professeurs. Pourquoi le nier ? Nous-mêmes nous subissions le charme. Il serait trop long d’expliquer la nature de l’attrait qui poussait alors l’Italie vers cette puissante Allemagne ; chez elle cet attrait n’est nullement une nouveauté : l’Italie se souvient d’avoir été gibeline. J’y reviendrai quelque jour, en parlant de l’illustre Benedetto Croce. Toute la jeunesse pensante, aux environs de 1890, était attirée vers l’Allemagne par la plus vive curiosité. Une dizaine d’années plus tard, quand M. Borgese, par exemple, se rendit à Berlin, la curiosité était la même, mais le sentiment avait changé ; cette intelligence italienne si souple avait repris son indépendance et sa liberté de critique.
L’influence allemande, au temps de son ascendant, prit les formes les plus différentes. Chez d’Annunzio, ce fut la forme esthétique : il saute aux yeux que la préoccupation de Wagner a dominé despotiquement le poète de la Nef, de Francesca di Rimini et de la Fille de Jorio. Il est plus difficile de dire ce que doit à l’Allemagne M. Pirandello : peut-être en aurait-on le secret en lisant le volume de ses Élégies rhénanes, qu’il publiait, au retour de Bonn, en même temps qu’une traduction des Elégies romaines. Le livre est par malheur introuvable à Paris. Quoi qu’il en soit, je suppose qu’on ne se tromperait guère, en disant que le jeune Italien fut séduit avant tout par la science allemande. On dirait qu’il a suivi avec prédilection les cours de quelque séminaire de philosophie ou de psychologie, peut-être même une clinique de professeur de médecine. C’était l’époque où la psychologie expérimentale était en train de découvrir ses méthodes et de faire ses premiers progrès, où la vieille conception de l’âme humaine se voyait renouvelée par la pathologie et l’étude des maladies mentales. Ces méthodes n’avaient d’ailleurs rien d’allemand ; elles sont pour une large part une création française. Mais c’est en Allemagne que les connut l’auteur des Élégies rhénanes. C’est ainsi qu’il