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l’Europe et l’Amérique sur une situation dont elle est responsable et qui serait loin d’être aussi mauvaise si, dans l’espoir de déchirer le traité de Versailles, elle ne l’avait volontairement empirée. L’intérêt et le vœu de la France auraient été de se trouver, après le traité de paix, en face d’une Allemagne démocratique, laborieuse, sage, qui, sous la conduite d’un chef honnête, d’un Thiers, aurait mis son honneur et sa conscience à réparer les ruines et à payer ses dettes. L’Allemagne a préféré risquer le tout pour le tout ; des amis mal avisés lui ont fait croire qu’elle pouvait laisser se déprécier sa monnaie, pourvu qu’elle gagnât assez de temps pour provoquer une révision du traité et un allègement de ses charges. L’Allemagne n’a pas voulu, comme l’a dit le chancelier Cuno, « se suicider pour nuire à ses créanciers, » mais elle a joué et elle a perdu. Il est insensé de dire que la France aime mieux voir l’Allemagne ruinée que d’être payée par une Allemagne prospère, car enfin tous les raisonnements du monde ne changeront rien à ce dilemme : ou l’Allemagne nous paiera une bonne partie au moins de ce que nous coûtent les destructions opérées par ses armées, ou nous serons acculés à une faillite d’où nous ne sortirons qu’au prix de terribles efforts et d’un désastreux affaiblissement : question de vie et de salut ; question de justice.

Ces deux conceptions, l’anglaise et la française, se sont affrontées le 2 janvier, à la première séance de la Conférence de Paris. Déjà, à Londres, l’incompatibilité des deux projets s’était clairement révélée, et c’est surtout par condescendance pour la haute courtoisie de M. Bonar Law que M. Poincaré consentit à un nouvel examen et à une nouvelle discussion. M. Mussolini, prévoyant l’échec de cette ultime tentative, ne jugea pas nécessaire de se déplacer personnellement. Pour comprendre le sens et la portée des deux projets opposés, il faut se souvenir que la question des réparations est un procès d’opinion. Le Premier britannique annonça, dès l’ouverture de la Conférence, que son plan allait être intégralement publié. Il faut rendre au projet présenté par M. Bonar Law cette justice qu’il est franc, loyal et complet ; il ne dissimule ni son objet, ni ses intentions. Il vise l’opinion publique, particulièrement celle des États-Unis ; on ne le comprendrait pas si l’on oubliait que, le jour même où la Conférence échouait à Paris, M. Stanley Baldwin, chancelier de l’Échiquier, débarquait à New-York avec mission de régler la consolidation des dettes de l’Angleterre envers les États-Unis. Le Gouvernement britannique coupe les ponts et ne laisse à la France qu’une issue : ou se résigner au projet anglais, renoncer