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pourvu que fussent annulées du même coup les dettes interalliées, ce qui impliquerait un gros sacrifice pour nos finances. Le plan français est favorable à un prochain emprunt, et admet dans une certaine limite un escompte favorable pour les versements allemands anticipés ; il accorde à l’Allemagne un moratorium de deux ans, mais avec prise de gages, parmi lesquels figurent l’exploitation des forêts domaniales dans les régions occupées, la perception des revenus douaniers dans les régions occupées ou à occuper, la saisie de l’impôt sur le charbon. Le produit de ces gages, que les experts français évaluent à 460 millions de marks-or, ne serait l’objet d’une saisie que dans le cas où l’Allemagne manquerait à nouveau à ses engagements ; d’autres sanctions pourraient s’y ajouter, telles qu’une occupation plus étendue, l’établissement d’un cordon douanier à l’Est de la Ruhr.

La modération d’un tel programme lui valut l’adhésion des délégués belges, MM. Theunis et Jaspar, et l’approbation des représentants de l’Italie, le marquis della Torretta et le baron Avezzana. Par une suprême maladresse, le projet anglais provoquait les inquiétudes de la Belgique et de l’Italie et les amenait à se solidariser avec la politique française. Après que, dans la séance du 3, M. Poincaré eut montré, avec cette puissance de logique et cette précision qui le font apparaître si redoutable à ses adversaires, le caractère insuffisant et absolument aléatoire du plan britannique, la bataille d’opinion était gagnée. La distance entre les deux projets apparaissait si infranchissable qu’aucune tentative de médiation n’était possible ; le 4, après d’excellentes paroles des Belges et des Italiens, la Conférence entendait les déclarations historiques de M. Bonar Law et de M. Poincaré et se séparait. On ne peut lire ces deux documents sans émotion, tant ils respirent la conviction sincère et la loyauté de deux hommes d’État qui, ne pouvant réussir à s’entendre sur une question de capitale importance, constatent avec regret leur désaccord et, au moment où, après avoir longtemps cheminé côte à côte en des temps difficiles, ils vont s’engager dans des sentiers divergents, tiennent à affirmer leur mutuelle estime et leur constante amitié.

Rupture amicale, mais cependant rupture dont les effets, quelques efforts que l’on fasse pour les circonscrire, seront considérables. La France reprend sa liberté d’action ; elle en usera pour défendre ses intérêts, non pour combattre ceux de l’Angleterre. Ententes de cas en cas, désaccords réglés à l’amiable ; telle est, entre la France et l’Angleterre, la méthode la plus prudente et la plus féconde. Au-dessus des connexions fréquentes d’intérêts et malgré les divergences