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franchi le rebord d’un plateau et en même temps nous sortons des nuages sous un soleil éclatant. Le train s’arrête, nous en descendons en face d’un inoubliable spectacle : barrant vers l’Est tout l’horizon, le panorama des Andes se dresse devant nous.

Le regard va d’abord aux trois colosses qui, à 100 ou 150 kilomètres, déchiquètent le ciel : au Sud-Est, le Pichu-Pichu, large massif de 5 100 mètres d’altitude, dont les pentes raides et sombres sont striées de ravins où la neige s’est rassemblée ; à l’Est, devant nous, bien en avant de la chaîne principale, le pic du Misti porte à 5 700 mètres son cône neigeux surmonté de son panache de fumée, et à la même hauteur, le Chachani dresse trois noirs sommets séparés par des ravins couverts de neige ; beaucoup plus loin vers le Nord, deux géants tout blancs dominent l’ensemble et marquent l’extrémité de la barrière à 6 600 mètres de hauteur, l’Ampato et le Coropuna.

De ces trois massifs, une longue ligne de montagnes nous sépare, rouge et gris-bleu, vers des gorges d’ombre noire, qui forme le deuxième gradin à franchir avant d’aborder la chaîne principale : au premier plan, un plateau de sables roses ou dorés, riches de cristaux brillants, et des rochers noirs, bleus, rouge brique, roses, — blocs énormes, amas de pierrailles qui forment comme des barrières rompues. Le soleil avive toutes ces teintes et découpe nettement toutes ces formes dans la transparence de l’air pur. La sensation de la solitude parfaite et inaltérable domine tout. Aucune trace de vie, pas un animal, pas un brin d’herbe dans cet immense horizon. Il n’y a rien, parce que rien ne peut exister dans cette nature stérile que pourtant la main de l’homme vient de marquer par deux lignes brillantes qui courent à perte de vue, les rails de la voie ferrée.

Le train s’est remis en marche et nous approche de la première barrière, qui nous cache maintenant les Andes ; les bleus et surtout les roses s’animent davantage ; la pourpre éclate, des violets sombres apparaissent et j’ai une sensation très nette de déjà vu : je me retrouve dans le Sud-Oranais, entre Ain Sefra et Figuig. Ce sont les mêmes jeux de lumière, c’est le même soleil dont la magie donne au désert son incomparable beauté.

Pendant des kilomètres, le plateau est semé de petites dunes de sables, — les medanos, — qui ont la forme de croissants ou plutôt de demi-ellipses, hautes de 3 mètres à 6 mètres ; leur côté convexe est uniformément tourné vers le Sud, d’où vient