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l’Autriche avait été incapable de réduire seule la révolte d’une des nations dont son Empire était formé, si cette nation unanime ne perdait point ses forces à des dissensions intestines, et si l’étranger n’intervenait point pour l’asservir. Tel avait été le cas lorsque l’Autriche avait dû son salut à l’intervention de l’armée russe, et de quelle ingratitude n’avait-elle point payé l’empereur Nicolas Ier, lorsque celui-ci avait eu, à propos de la Turquie, à lutter contre la France et l’Angleterre ? La Russie dûment avertie s’était donc engagée à conserver une neutralité presque bienveillante, et les garanties en avaient été données au prince Napoléon lors de son voyage à Varsovie.

L’Angleterre simulait pour l’Italie une grande passion, mais cette passion était platonique. Elle exigeait que, pour le moment, on ne troublât point la paix, car, absorbée par la question d’Orient, elle ne pouvait s’occuper de l’Italie, « soit, disait Cavour à d’Azeglio, parce qu’on ne peut mener de front deux affaires d’une immense importance, soit parce qu’elle est obligée de ménager l’Autriche qu’elle considère comme l’épée destinée à tenir la Russie en respect, » Il y avait mieux : de très anciennes alliances avaient tissé entre les deux pays, leurs souverains peut-être, leurs aristocraties certainement, des liens qui ne pouvaient facilement être rompus, et, bien que préconisant une politique libérale dans la péninsule, l’Angleterre ne souhaitait aucunement qu’une Italie libérée, devenue par là une des grandes Puissances européennes, changeât sur l’échiquier la disposition des pièces, réglée par le prince de Metternich, avec, pour objet principal, d’annihiler la France et de la mettre en servage. Si la France était, dans une mesure, parvenue à s’émanciper, — car il avait bien fallu que l’Angleterre usât d’elle contre les Russes, — il ne convenait certes pas qu’elle s’avisât de battre en brèche le dogme essentiel : celui des Traités de Vienne ; que, de la libération de l’Italie elle tirât une alliée dont on pouvait, l’histoire en main, prédire la vigueur, les immenses ressources et les destinées épiques. Il ne fallait point qu’on vît, sous le drapeau que Napoléon lui avait donné, renaître un peuple dont les ancêtres avaient conquis le monde, et qui lui avait donné ses lois.

Néanmoins, l’Angleterre n’irait point jusqu’à tirer l’épée. Sa répugnance pour les armes la menait toujours à chercher des alliés dont elle fit ses soldats, à moins qu’ils ne fussent ses mercenaires..., et, pour le moment, elle ne voyait point de nation disposée à jouer, pour elle, ce rôle ingrat. On pouvait donc penser que, après avoir discuté, après avoir échangé des notes verbales et écrites, après s’être proposée libéralement pour ouvrir des conférences et tenir des palabres, après s’être efforcée surtout à gagner du temps, elle accepterait