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Tandis que les troupes du grand-duc Nicolas se laissaient entraîner par leur offensive foudroyante, et que le brillant Gourko enlevait par un coup de main superbe la passe fortifiée de Chipka, les Turcs se ressaisissaient promptement, organisaient la résistance et se révélaient soudain les merveilleux guerriers qu’ils furent tout au long de leur histoire.

Le 20 juillet, les Russes essuyaient devant Plewna une défaite sanglante.

Alexandre II mandait, le soir même, à sa maitresse :

La grande faute a consisté en ce que le général Krüdener, tout en connaissant la supériorité numérique des Turcs, se soit décidé à les attaquer, comme il en avait reçu l’ordre. Mais, en prenant sur lui la responsabilité de ne pas l’exécuter, il aurait conservé plus d’un millier de vies humaines et évité une déroute complète, car il faut avouer que cela en est une. Heureusement encore que les Turcs n’ont pas poursuivi les débris de nos braves ; sinon, peu de monde se serait sauvé.

J’avais reçu, ce matin, des nouvelles plus satisfaisantes de Londres, à la suite des rapports de Wellesley. Le langage des Anglais était devenu tout autre, et ils étaient tout prêts à employer leur influence sur la Turquie pour qu’elle nous demande la paix, aux conditions que nous exigerions. Je crains malheureusement que le désastre de Plewna ne leur fasse de nouveau changer de ton et ne rende les Turcs encore plus outrecuidants.

C’était en effet un désastre, qui fut aggravé, dix jours plus tard, devant les mêmes positions, par une deuxième défaite encore plus sanglante.

Il fallut arrêter l’offensive sur toute la ligne des Balkans, et même rappeler le général Gourko en arrière des défilés qu’il avait si brillamment conquis. Le grand-quartier général, qui s’était avancé jusqu’à Tirnovo, dut plier bagage en toute hâte pour se réfugier vers le Nord, à Biéla-Cervka, tandis que l’Empereur s’installait à vingt-cinq kilomètres du Danube, dans le village de Gorny-Studena. Enfin, si pénible que ce fût pour l’amour-propre russe, on se vit dans l’obligation de solliciter le concours des Roumains, qui envoyèrent aussitôt 40 000 hommes pour coopérer, sous les ordres du prince Charles, au blocus de Plewna.