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Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/598

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plus. Khaltourine avait même réussi à se lier avec un des gendarmes chargés de ce service, et à obtenir qu’il lui donnât sa fille en mariage. Le nihiliste eut ainsi toute facilité pour introduire quotidiennement, au milieu de ses outils, un paquet de dynamite, qu’il cachait ensuite sous des gravats. Quand il eut apporté cinquante kilos d’explosif, il les disposa dans une excavation, d’où partait une longue mèche. Ses calculs étaient si exacts qu’il put s’enfuir tranquillement après avoir mis le feu.

La divulgation de ces détails ne fit qu’augmenter l’affolement de l’esprit public. A quelle catastrophe nouvelle fallait-il s’attendre ?... Eugène-Melchior de Vogüé, qui se trouvait alors à l’ambassade de France, a dépeint en termes saisissants la panique générale : « Ceux qui ont vécu ces journées peuvent attester qu’il n’y aurait pas de termes assez forts pour traduire l’épouvante et la prostration de toutes les classes de la société. On annonçait pour le 2 mars, anniversaire de l’émancipation des serfs, des explosions de mines dans plusieurs quartiers de la capitale ; on désignait les rues menacées : des familles changeaient de logement, d’autres quittaient la ville. La police, convaincue d’impuissance, perdait la tête ; l’organisme gouvernemental n’avait plus que des mouvements réflexes ; le public s’en rendait compte, implorait un système nouveau, un sauveur.


Ce sauveur n’allait pas tarder à paraître ; dans beaucoup de milieux, on le nommait déjà.

Le 25 février, un conseil extraordinaire fut tenu au Palais d’hiver, sous la présidence de l’Empereur. Pour cette délibération solennelle, Alexandre II avait convoqué autour de lui le Césaréwitch, héritier du trône, le grand-duc Constantin, président du Conseil de l’Empire, le chancelier, prince Gortchakof, les ministres, le chef de la Chancellerie secrète et les gouverneurs généraux en mission dans les provinces. Il ouvrit la séance d’un air morne, la taille affaissée, la voix sourde et enrouée, avec des gestes fébriles dans les mains. Faute d’être conduite, la discussion se traîna en paroles vaines, en avis contradictoires, en stériles récriminations sur le passé. Un seul des assistants demeurait silencieux, le comte Loris-Mélikow, gouverneur général de Kharkow. Quand le Tsar réclama enfin