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reflètent sur la vie, il faut autre chose que de l’esprit, que la connaissance de sa langue ! Et c’est ce quelque chose que j’aime en vous. Pourtant, très cher, j’ai quelque scrupule de joindre ma voix aux mille voix qui vous louent ; je crains d’être une intelligence bien plus incomplète que je ne l’avais cru jusqu’à ce jour. J’ai subi une épreuve dont je ne suis pas sortie victorieuse. Ecoutez : j’ai tant entendu louer Faust, le Faust de Goethe, je vous ai vu si timidement aspirer à placer Lambert près de ce chef-d’œuvre, que je me le suis procuré. Je l’ai lu une première fois ; je me suis accusée de préoccupations. Je l’ai lentement recommencé ; je n’ai été ni frappée, ni transportée, loin de là. Il faut que je sache qui vous êtes pour vous avouer cela ; car, comme la préface me donnait une opinion toute faite, j’aurais pu l’adopter. Faust me paraît bizarre avant tout : Méphistophélès n’est point le diable qui, selon moi, devrait le guider. Les tentations sont par trop vulgaires ; je conçois une composition de ce genre, avec toutes ces singularités, mais bien plus grandiose. Il y a de belles pages de philosophie, mais si connues qu’elles n’apportent aucune idée nouvelle ; enfin, je suis mécontente de moi, n’osant l’être de l’ouvrage. Bien entendu, je n’entends pas juger de la poésie ni du style, puisque je n’ai en main qu’une traduction. C’est que, Honoré, j’ai aussi, dans ma jeunesse, avant que le chagrin et l’expérience eussent versé une pluie de plomb sur ma vive imagination, j’ai voulu, comme Faust, savoir le pourquoi de toutes choses. Je demandais leurs secrets à ces mondes si éloignés, que le diamètre de notre orbite, en plus ou en moins, ne change point leur aspect. C’était une soif ardente que rien ne satisfaisait. Je crois encore que, retournés à l’essence dont nous émanons, nous participons de sa divinité. Mais avons-nous la conscience de notre ignorance et de nos désirs passés ? Voilà la question !...

Enfin, Lambert est pour moi, toute affection à part, à mille piques au-dessus de Faust. Je conçois la folie de Lambert, sa langueur morale, à laquelle succèdent des transports ineffables ; sa seconde vue, sa religion du pressentiment, puis son amour d’homme, tribut payé à l’humanité, jeté sur le tout, mais sentant encore sa nature supérieure.

Faust aime comme aiment les bêtes ; sa Marguerite ne l’aime que parce qu’il est beau, et il s’appelle l’homme dieu ! Oh non ! Il devait faire pacte avec le diable ; cela se conçoit, à une époque