[1]. J’ai lu quelques ouvrages de philosophie, et cette étude aurait un attrait immense pour moi, si j’étais de nature à pouvoir l’entreprendre, si ma robe de femme ne m’imposait pas d’autres occupations. Comme votre Louise j’ai aimé à suivre les altérations successives d’un mot ; on remonte à sa source, en suivant les altérations de prononciation d’une seule lettre selon les latitudes, ou l’addition de quelque autre qui, après des siècles, permettra aux savants seuls de comprendre la fraternité ou l’identité de deux expressions. Oh ! oui, certes, le mot agit sur nous ! C’est presque là l’éducation, cette politesse exquise, cette délicatesse presque fluide des hautes classes, qui feraient le chagrin éternel de qui ne les possède pas, si elles n’étaient exclusives de toute énergie et de toute profondeur de sentiment ; elles ne sont dues qu’à l’influence des noms sur nous. La réaction est bien plus faible ; elle consiste seulement dans le changement de prononciation, ou une nouvelle application, ou l’extension de l’expression donnée aux mots ; mais, alors même, le mot, que nous créons, pour ainsi dire, agit immensément sur nous et donne lieu à un nouveau développement d’idées qui en amène de nouvelles. Osé-je donc bien vous parler de tout cela, moi qui ne sais ma langue que par instinct, qui ne l’ai jamais travaillée ! Mais, avec vous, je n’ai point d’amour-propre, parce que vous aimez en moi ce que je ne dois qu’à mes méditations, à mon action sur moi-même et non au degré d’instruction que m’a pu donner mon éducation provinciale. Puis, cent yeux voient mieux qu’un seul ; puis encore, vous devez savoir ce qui m’a frappée, parce que je vous répète que je suis du commun des lecteurs qui vous apprécieront, et que ce qui me choque les choquera.
Mais assez là-dessus ; quoique je ne renonce pas à mes autres observations, sachez que le Louis Lambert a donné de délicieuses palpitations à la voisine ; que la pauvre dame Séguin, venant par hasard chez elle ce jour-là, elle l’a cruellement accablée de son triomphe. Je n’en ai pas été témoin, et j’en suis heureuse ; je n’aime pas les méchancetés. La jolie boite décore ma chambre à coucher et aucune main profane n’y touchera.
Savez-vous que j’ai un gymnase ? Oh ! Honoré, venez donc ; vous trouverez ici santé de toute façon, je me fais forte de vous
- ↑ Balzac ne tint pas compte des remarques de Carraud. Cf. Louis Lambert Gosselin, 1832 (p. 148), et l’édition Furne, 1846 (t. XVI, p. 111 et 121).