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tout le ciel a répandu ses eaux ! Quelque idée que j’aie de vous, je ne vous crois point fait de façon à absorber plus qu’une quantité de bonheur donné, et elle, l’ange, elle en produit toujours. Mais, tenez, je me tais, parce que vous vous récriez toujours, alors que vous avez tort, et vous abusez en ce cas de cette faculté d’expression dont vous êtes doté. J’ai trouvé ma sœur bien malade ; elle m’effraye tant elle est changée... Dimanche au matin, je pars pour aller respirer mes fleurs de Frapesle, et, si la fantaisie de voir la cathédrale qui ennoblit notre vieux Berry ne vous passe pas, je vous attendrai avec cette bonne amitié que vous savez, et vous aurez un mobile de plus à votre voyage : la certitude de donner quelques-unes de ces heures que l’on n’oublie point.

Adieu, tâchez de vous bien porter, et de produire, afin de faire taire tous les roquets qui aboient. J’ai entendu parler ici avec mépris de ceux que je juge, d’après les faits sur lesquels on faisait tomber le blâme, devoir être artistes nés. Les malheureux ! Etre en province, et avoir besoin du contact des autres pour l’arrangement de sa vie matérielle !

Adieu, soyez donc heureux.

ZULMA.

Ivan vous prie d’excuser les griffonnages qu’il a faits sur la lettre d’Auguste.


Le séjour à la Poudrerie a régénéré Balzac ; à peine rentré à Paris, le 26 mai, il annonce à Mme Carraud qu’il a repris, comme par magie, son grand travail, ses seize heures par jour et la plus grande somme de courage et d’inspiration qu’il ait jamais eue : « Le Médecin de campagne est fini. Je n’ai plus que huit jours de corrections d’épreuves. Soyez sans crainte, la fin est plus belle, au dire de celle que vous nommez à si juste titre un ange, que le commencement. L’ouvrage va crescendo, ce dont je doutais encore. » Quant à Ivan, le fils de Mme Carraud, qui est souffrant, Balzac conseille de le magnétiser. De même qu’il faut aussi magnétiser Mme Nivet pour la guérir : « Ma sœur, affirme Balzac, a été guérie de la même maladie qu’a Mme Nivet par un traitement magnétique, par la simple action, répétée deux heures tous les jours, de ma mère. C’est un fait irrécusable. » Et Balzac termine sa lettre en annonçant son projet d’aller bientôt rejoindre ses amis dans le Berry en passant par Bourges, dès que le Privilège [1] sera fini.

  1. Le Privilège, pas plus que la Bataille ni les Trois Cardinaux, ne vit jamais le jour.