Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/695

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REVUE LITTERAIRE

LES ANGOISSES D’UN COMBATTANT[1]

M. Drieu La Rochelle avait vingt ans à la veille de la guerre. Il a combattu. Il a été blessé d’abord à Charleroi, blessé une deuxième fois, l’automne de la même année, en Champagne. Il a pris part à l’expédition des Dardanelles, d’où il revint malade. Il partit cependant pour Verdun, avec le vingtième corps : une troisième blessure le mit hors de combat. Si je donne ces indications de qualité militaire au sujet de l’écrivain dont seuls m’importent les écrits, c’est afin de noter sans retard qu’il s’agit d’un véritable combattant, qui certes n’a point boudé à la guerre et qui a le droit de déclarer : « Nous avons fait de l’histoire ; c’est autre chose que de la lire ! » Ce véritable combattant vient de publier, sous ce titre, Mesure de la France, un des livres les plus ardents, mais aussi les plus douloureux, plein de rancune et de révolte, qu’on ait lus depuis longtemps. Non pas une jérémiade : je n’en parlerais pas ; ni l’un de ces pamphlets de représailles pacifistes sous lesquelles se dissimule la propagande révolutionnaire. Ce n’est pas ça ; mais, après la victoire, la cruelle déception.

Comme il semble qu’un tel sentiment, d’une étrange amertume, soit aujourd’hui celui d’un grand nombre de Français, peut-être convient-il de l’examiner dans une œuvre qui a, pour l’ennoblir, son origine, — l’œuvre d’un combattant, disons, d’un vainqueur ; — sa bonne foi, — quand ce vainqueur avoue à regret tant de chagrin ; — sa beauté, — si le chagrin de ce vainqueur aboutit à un grand poème désespéré. Nous avons entre les mains un témoignage d’une incontestable valeur, et qui nous met en présence d’un fait : le déplaisir

  1. Mesure de la France, par M. Drieu La Rochelle (Grasset). Du même auteur, Interrogation, Fond de Cantine, État-Civil (éditions de la Nouvelle Revue française.)