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devant les vieillards, mortels et qu’elle juge moribonds ! Elle les entend dire que la guerre fut un malheur ; elle refuse, pour la guerre, le nom de calamité : « La guerre a introduit dans notre vie une solennité que nous n’espérions plus des événements humains... Nous ne pouvons pas renier notre guerre ; par elle, la vie nous parut plus adorable et nos ferveurs furent renouvelées. » Pourtant, ce livre s’appelle Interrogation : un doute s’est insinué, sans qu’on l’aperçût d’abord, dans le magnifique entrain des âmes. Et le voici : « Je ne vois pas la paix. Que sera le monde sans le mal ? J’ai peur de votre paix. Je ne vois pas. J’ai peur... Je n’ai point confiance dans l’homme : il ne vaut rien sans sa souffrance. » L’interrogation, c’est la paix, qu’on a rêvée aussi grande que la guerre, et qu’on redoute. Dans la guerre, « la vie s’est surpassée : » ne va-t-elle pas péricliter ou s’avilir dans la paix ?

La paix une fois signée, M. Drieu La Rochelle a publié son deuxième recueil, Fond de cantine ; et ce sont des poèmes un peu analogues aux précédents, quelques-uns plus rythmés et qui martèlent plus fortement la même idée : « Nous avons abattu la maison de vieillesse... Nos joies et nos douleurs sont de puissantes sommes. Nous n’aurons pas connu le bonheur monotone. Je t’ai donné, Patrie, la dîme de ma vie !... Hommes de ce temps, après vous cette joie ne sera plus connue des hommes, notre joie !... » Plusieurs poèmes du deuxième recueil sont relatifs aux soldats étrangers venus secourir la France, jeunes hommes d’Angleterre ou d’Amérique : « O France chargée d’hommes, harassée par le fer, tu ne sus enfanter tous ces garçons qui campent et célèbrent en tes soirs l’amour d’autres patries. » Cette remarque, indiquée là en passant, nous la retrouverons, autrement développée, nourrie d’autres méditations, dans cette Mesure de la France, où elle devient reproche, anathème, — on le verra, — et l’une des explications de la paix indigne de la guerre.

Avant de conclure, comme il le fit en ce dernier ouvrage, l’auteur s’interroge. Il parait procéder ainsi. La guerre, il l’a vue ; et, dans ses deux livres de poèmes, il en a donné la somme intelligible et importante. Mais il l’a vue avec ses yeux et il l’a vue selon son âme. Quelle est son âme ? En ce contact du spectateur et de l’objet, qu’a-t-il apporté, qui dût modifier la vue de l’objet, son estimation ? Pour le savoir, il tente son examen de conscience, en quelque sorte, ou présente, — c’est le titre du volume, — son Etat civil. Eh ! bien, il est un Français de ce temps, de race et de famille française ; il avait vingt ans à la guerre : il a les sentiments, normaux, légitimes et impérieux,