la vie plus que le destin ne nous en concède, d’étendre notre existence infiniment au delà de ses limites naturelles, de nous prolonger dans le passé.
Les forts interrogent l’histoire pour en dégager des leçons de volonté et des raisons de vivre. D’autres n’y cherchent que l’oubli du présent qui est par trop misérable, le rêve, la beauté, la volupté des vaines tendresses et des vains regrets, les lentes promenades à travers l’irréel au pays des Cimmériens. Et ceci n’est pas moins légitime.
Ces siècles écoulés, ces ruines, ces cendres, pour un Michelet c’est de la vie. Il vit avec ceux qu’il exhume, il entend leur voix. Un véritable historien est toujours un poète.
On peut être très sensible à la poésie du passé, s’y abandonner tout entier, sans pour cela souhaiter qu’il redevienne du présent. Il nous touche précisément parce qu’il n’est plus qu’un songe. Je ne regrette pas, en visitant le parc de Versailles, qu’il ne soit peuplé que de fantômes. Je sens combien la mort et le temps y ont embelli toutes choses.
Que seraient les pompes royales, les splendeurs d’une vie de cour, comparées à ce charme infini d’irréalité ? « Mœurs d’autrefois, vous ne renaîtrez pas ; et si vous renaissiez, retrouveriez-vous le charme dont vous a parées votre poussière ? » (Chateaubriand, Vie de Rancé).
La nature a un passé si vieux que le regard y plonge et s’y perd comme en un gouffre.
Gouffre au fond duquel il y a l’énigme de la création, la double énigme, celle de l’homme et celle de Dieu.
Vieillesse formidable des montagnes, de la mer. La mer roule des épaves sans âge et recouvre des villes ou des mondes engloutis ; la terre est toute mêlée de poussière humaine. Des silex, des graffiti, des ossements attestent que des hommes ont vécu sur cette rive, dans cette grotte, il y a dix mille ans, vingt mille ans, plus peut-être. Quels hommes ? Et avant eux, des milliers et des milliers d’années avant eux, la terre, la mer, les