qui leur soit une digne nourriture ? Qu’ont-ils à faire de nos histoires parisiennes ? Dans notre exportation littéraire, qu’y a-t-il d’humanité enrichissante ?
— Ah ! reprenait-il, ce matin je relisais Leurs Figures. Cela s’est passé il y a une vingtaine d’années, mais je n’en sais rien. Ces figures pâles qui sont fixées par la terreur, puis qui s’agitent, m’émeuvent. Je suis enlevé de mon pauvre pays. Je ne suis pas en France, ni dans des querelles mesquines, comme vous dites. C’est pour moi Homère, des luttes. Notre pauvre vie d’ici nous étouffe. Nous préférons mille fois, aux torpeurs de l’esclavage, tous les risques de la liberté.
Un tel langage, est-ce l’inquiétude de la jeunesse, une demi-comédie dans l’âge où l’on désire paraître, le désespoir des races assujetties, la terreur endémique de l’Orient ? Je me répétais en esprit la devise chère à Descartes : Quod vitæ sectabor iter ?
Par bouffées, le printemps commence de lutter avec avantage contre l’hiver et chauffe toute l’humidité du rivage. Aujourd’hui, le ciel et les montagnes sont encore chargés d’un brouillard opaque ; il n’y a pas un mouvement dans l’air ; une tiédeur enveloppe la ville, où le vent du désert fait tourbillonner la poussière.
Je vais achever ma journée le long de la mer. J’y croise les belles Syriennes étendues dans leur voiture avec trop de fierté, qui, des pentes du quartier des riches, sont venues respirer la brise du Rocher des Pigeons. Pourquoi me donnent-elles avec acuité la double sensation d’une turbulence brillante et passionnée et de l’immobilité de la mort ? C’est que, si charmantes sous leurs parures, qui leur font tant de plaisir, elles reproduisent exactement leurs aïeules, chargées de bijoux, qu’on voit sculptées aux cénotaphes de Palmyre. C’est aussi que je pressens leur grand rôle prochain. Invinciblement, dans mon imagination, cette minute d’un soir se rattache à toute l’histoire de Syrie. Je songe à la Délia de Tibulle, aux femmes d’Horace, à toutes ces belles affranchies dont mourut la vertu antique. Michelet, Jules Soury, Boissier, Anatole France ont bien marqué le rôle de ces Asiatiques devenues les maîtresses des jeunes nobles romains. Plus tard les princesses de l’Oronte, Julia Domna, Julia Maesa, Julia Mammaea, entrées dans la famille des Sévère, y apportèrent