plutôt d’intelligence, qui, peu à peu, a détaché Renan de la foi de son enfance.
Pendant les dures années de labeur qui suivirent sa sortie de Saint-Sulpice, Sainte-Beuve dut souvent lui servir de guide : il menait de front ses recherches personnelles et la préparation de ses examens universitaires, et, ainsi qu’en témoigne l’Avenir de la Science, il se tenait bien au courant du mouvement des idées contemporaines. On a publié récemment l’un de ses modestes travaux d’étudiant : il est directement inspiré d’un article des Portraits littéraires. « M. Sainte-Beuve, devait-il écrire vingt ans plus tard, est l’un des trois ou quatre amours auxquels je suis toujours demeuré fidèle. » On conçoit d’ailleurs fort bien ce qui, dans les livres de son devancier, devait, dès cette époque, attirer et séduire le libre et subtil esprit d’Ernest Renan : le charme poétique et la grâce piquante de la forme, le romantisme de l’inspiration, la pénétration psychologique, la solide érudition, la finesse ondoyante, l’ingéniosité, la souplesse agile du talent critique, l’absence complète de tout dogmatisme, et enfin cette manière, à la fois libre, respectueuse, sympathique, de toucher aux choses de l’âme, et, particulièrement, aux choses religieuses, tout cela devait plaire infiniment au futur auteur de la Vie de Jésus. Nul doute qu’il n’ait vu là un rare modèle à suivre et à imiter, et tout un ensemble de dispositions qu’il y aurait grand profit à s’assimiler. On ne subit jamais que les influences qu’on est comme prédestiné à subir, parce qu’on en porte le germe en soi-même. Ernest Renan se livra docilement à celle de Sainte-Beuve. Si celui-ci n’avait pas écrit son Port-Royal, les Origines du christianisme ne seraient pas tout ce qu’elles sont.
Quelques années se passent. A son retour de Liège, Sainte-Beuve entame, dans le Constitutionnel, sa campagne des Causeries du Lundi. Un article de lui est, pour les jeunes écrivains, la consécration suprême. Le genre d’esprit et de talent de Renan, qui débutait alors dans divers recueils et journaux, lui fut tout de suite très sympathique. Le découvrit-il directement, ou bien ce nouveau venu lui fut-il signalé par quelque ami ? Il renvoie en tout cas, dès le 18 août 1851, à l’article que Renan avait publié sur l’Origine du langage, en 1848, dans la revue la Liberté de penser [1]. Mais les véritables rapports entre les deux écrivains commencèrent en 1852, quand Renan envoya à Sainte-Beuve sa thèse sur Averroès et lui écrivit pour lui demander un article : on lira plus loin cette lettre. Sainte-Beuve répondit quelques jours plus tard avec infiniment de bonne grâce [2] :