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suis redevable de ce qu’il y a de plus essentiel dans ma manière générale de concevoir et de sentir. C’est là une paternité, monsieur, à laquelle sans doute vous tiendrez assez peu, et qu’il vous est tout à fait permis de renier ; ma conscience toutefois ne saurait me tromper, quand elle me rappelle l’influence que produisit sur moi la lecture de vos écrits, et combien ils contribuèrent à substituer au but dogmatique et abstrait que j’avais poursuivi jusque-là la recherche historique et critique, qui est la vraie philosophie de notre temps.

Averroès et l’averroïsme n’offriraient, je le sais, qu’un aliment bien peu convenable à vos charmantes Causeries du Lundi. Il me semble, toutefois, que vous avez su féconder des sujets plus arides encore, et qu’il ne serait pas impossible de présenter sur celui-ci quelques aperçus délicats et d’un intérêt général. Si l’averroïsme, par un côté, est la plus nominale, la plus creuse, la plus insipide des philosophies, il se rattache par un autre à tout ce qu’il y a de plus vivant et de plus profond dans la nature humaine. L’apparition de l’incrédulité au sein de l’époque que l’on s’est habitué à regarder comme le règne de la foi absolue, le caractère si original de Frédéric II, la légende de l’Averroès incrédule, au moyen-âge, la physionomie générale de l’école de Padoue, l’opposition de Pétrarque et des beaux esprits à tout ce pédantisme, m’ont semblé des tableaux historiques assez curieux. Peut-être aussi la préface et la conclusion renferment-elles quelques vues sur lesquelles il serait bon d’insister, pour montrer comment, en dehors du cercle des considérations logiques et métaphysiques, dont le temps est passé, il y a place encore pour un exercice libre et hardi de l’esprit. Vous avez dit à ce sujet de si excellentes choses à propos de saint Anselme [1], que nous serions bien heureux, monsieur, si Averroès vous fournissait l’occasion d’y revenir.

Pour épargner vos instants, qui sont si précieux, je me suis permis de marquer les endroits que je regarde comme les plus susceptibles de vous intéresser. Je n’ai pas besoin d’ajouter que si vous désirez des renseignements plus précis, je serais infiniment honoré d’aller moi-même vous les porter. J’ai joint à mon travail sur Averroès quelques essais antérieurs sur lesquels je

  1. Causeries du Lundi, t. VI, p. 362. L’article sur Saint Anselme est du lundi 9 août 1852.