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ressasser, par son entourage, les mêmes adjurations, le même refrain passionne. Ainsi, de minute en minute, il se déliait des promesses faites à son père.


Cependant la dépouille de l’Empereur immolé demeurait exposée au Palais d’hiver, dans une chapelle ardente. Il portait l’uniforme des Préobrajensky ; mais, contrairement au rituel funèbre des tsars, on ne lui voyait ni couronne sur la tête ni décorations sur la poitrine : il n’avait pas voulu que ces vains emblèmes le suivissent dans la tombe. Parlant une fois de ses dispositions testamentaires avec Catherine-Michaïlowna, il lui avait dit : « Quand je comparaîtrai devant Dieu, je ne veux pas avoir l’air d’un singe dans un cirque. Et puis, ce ne sera pas le moment de faire le majestueux ! »

Chaque jour, matin et soir, un clergé nombreux venait psalmodier, autour du catafalque, l’office des Pannykides, préliminaire des obsèques solennelles.

Le 18 mars, veille du transport à la cathédrale de la Forteresse, Pobédonostsew assista aux oraisons finales. Quand il rentra chez lui, très ému, car ce polémiste intraitable avait le cœur tendre, il écrivit à une amie : « Aujourd’hui, j’ai pris le service dans la chapelle ardente. Après les prières publiques et lorsque tout le monde se fut retiré, j’ai vu venir, de la chambre voisine, la veuve ! Ses jambes la portaient à peine ; sa sœur la soutenait ; Ryléïew la conduisait. Elle s’effondra devant le cercueil. Le visage du défunt est couvert d’une gaze qu’on ne doit pas soulever ; mais elle s’inclina, retira brusquement le voile, couvrit de longs baisers le front et la figure ; puis, chancelante, elle sortit. J’ai eu pitié de la pauvre femme. »

Le soir de ce jour, Catherine-Michaïlowna reparut dans la chapelle ardente. Elle venait de couper ses cheveux, ses magnifiques cheveux qui étaient sa gloire, et elle les disposa pieusement sous les doigts du mort. Ce fut son dernier geste d’amour.


Un mois après, le procureur général du Saint-Synode et ses fougueux partisans célébraient leur triomphe. Le comte Loris-Mélikow, disgracié, reprenait le chemin du Caucase. Le grand-duc Constantin, abreuvé d’amertume, en butte aux soupçons les plus injurieux, s’éloignait de la cour. Le testament politique