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De Casal, le 21 mai 1859.

Cher beau-fils.

Je te remercie de ta lettre. Je t’envoye le comte Saint-Front, mon aide de camp, te porter cette lettre ; il est chargé par moi de la mission Toscane, c’est-à-dire de porter à Buoncompagni le proclame aux troupes de ce pays-là, chose qui doit précéder ton arrivée et préparer les esprits pour l’union entière et complète à ce royaume, je crois cela nécessaire actuellement, l’avenir arrangera puis tout. Fais ce que tu pourras en ce but, et, si cela est possible, que ce soit fait de bonne grâce de la part de cette nation. Hier, bataille à Montebello acharnée de part et d’autre. Les Français l’ont repris ; beaucoup de morts. Les Français ont perdu un général, et moi un colonel de cavalerie. Aujourd’hui, je vais passer la Sésia sur plusieurs points, et je m’avance sur Mortara, et en avant, à la grâce de Dieu. Je ne sais pas si l’armée française sera nouvellement attaquée, ou si elle s’avance. Je pense que tout ira bien à l’Empereur, à toi et à moi. Je t’embrasse de tout mon cœur.

Ton très affectionné beau-père,

VICTOR-EMMANUEL.


Embarqué le 22 mai sur la Reine Hortense, le Prince entra le 23 en rade de Livourne. Il adressa immédiatement aux habitants du Grand-Duché une proclamation où il exposa d’autant plus nettement la politique désintéressée qu’il entendait conserver vis à vis des Toscans, qu’il n’ignorait point quelles étaient les intentions de son beau-père. Ainsi disait-il : « Napoléon III a déclaré qu’il n’avait qu’une seule ambition, celle de faire triompher la cause sacrée de l’affranchissement d’un peuple et qu’il ne serait jamais influencé par des intérêts de famille. Il a dit que le seul but de la France, satisfaite de sa puissance, était d’avoir à sa frontière un peuple qui lui devra sa régénération. Si Dieu nous protège et nous donne la victoire, l’Italie se constituera librement, et, en comptant désormais parmi les nations, elle affermira l’équilibre de l’Europe. »

Le Prince avait beaucoup à faire pour mettre les Toscans en état de prendre part à la lutte. Le Roi avait mis sous ses ordres l’armée toscane ; par une proclamation vibrante, il avait annoncé aux soldats du Grand-Duché qu’ils « n’étaient plus les soldats d’une province italienne, mais qu’ils faisaient partie de l’armée d’Italie, » et il avait ajouté : « Vous estimant dignes de combattre aux côtés des braves soldats de la France, je vous place sous les ordres de mon bien-aimé