Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/861

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enfin, condensée le long de ses quelques rues, où les perches auxquelles on avait, l’été, suspendu des nattes, encore dressées, sur les toits, semblaient des pilotis à l’envers qui l’implantaient dans le ciel ; et les banderoles transparentes, les maisons béantes inondées d’un jour égal, où, comme des objets qu’on plonge dans l’eau, les travaux ordinaires semblaient moins pesants, où les batteurs de cuivre soulevaient facilement de très gros marteaux ; et l’étroite boutique où un antiquaire avait rangé son trésor hétéroclite, pareil au butin bizarre de la pie ; et, profonds et prospères, les magasins de cercueils ; et les marmots qui avaient tous, comme Louis XI, des enseignes de métal à leur bonnet, et, de place en place, un devin derrière sa table, un vieil astrologue au crin rude, à l’œil brillant, aux aguets comme un gros rat ; et soudain, lâchés parmi les passants et trottinant à travers, deux files d’étranges pompiers, dont les casques de cuivre semblaient venir tout droit du règne de Louis-Philippe, et, derrière eux, des coolies au chapeau conique, portant chacun, au bout d’un fléau, deux jolis seaux si petits qu’ils paraissaient faits, non pour éteindre le feu, mais seulement pour arroser de quelques gouttes la végétation glorieuse des flammes ; et une autre rue, qui se mourait dans les champs, bordée de maisons qui, comme certains décors, paraissaient trop exiguës pour la taille humaine ; et de nouveau la campagne, trouée d’un étang, et de hauts feuillages dédiés à l’automne et, au pied d’un mur, un conteur, débitant son histoire d’une voix de gorge, l’air cynique et hardi, face à son auditoire captivé ; et, plus loin, retiré au haut de ses cours, ceint de ses murailles de pourpre, avec ses doubles toits émaillés, le temple de Confucius, laissant un insaisissable dédain couler de ses lignes correctes ; et mon retour par une autre rue, où un coupé à l’européenne, drapé de rouge, attendait devant une porte, et, tout à coup, un galop, un cri, et ce coupé me dépassant, où j’eus à peine le temps de voir une petite mariée rose de fard, sous une énorme coiffure chargée de pompons et grelottante de pendeloques, et la fuite de. ce fiacre emportant et rapetissant une grosse servante collée à son dos, comme une grenouille sur un tableau noir ; et la gare, enfin, où j’attendais le petit train qui me ramènerait au fleuve, en regardant, au-dessus d’un mur, des platanes presque dénudés, au haut desquels des corbeaux, déjà perchés pour la nuit, mettaient sur le liquide ciel d’ambre des taches noires un