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de clinquant, des poupées costumées à la façon des acteurs, brillantes, scintillantes, en qui semblait se perpétuer l’âme maniérée de l’ancienne Chine. Son adresse à les habiller était toute machinale et quand on lui en demandait, de ma part, de pareilles à certaines que je lui avais achetées la veille, il tournait vers moi un visage absent, qui ne se souvenait de rien : il travaillait comme en songe.


MACAO

Par un tiède après-midi de décembre, je pars de Canton. Du bateau qui va m’emmener, je regarde la rivière. Des barques traversent en tous sens, mues par une femme qui rame à barrière, debout comme un gondolier. Des jonques descendent et montent, dont certaines ne sont que de grosses caisses peinturlurées, surchargées de monde, que pousse un petit vapeur haletant collé à leur flanc. De grandes voiles que la lumière teint de haut en bas, comme d’un seul coup de pinceau, promènent à travers cette agitation leur surface unie et rêveuse. Seuls quelques bateaux de fer, pareils à celui sur lequel je viens d’embarquer, déchirent de leurs lignes aigres cette grande estampe où tout ce qui flotte, sauf eux, a les lignes grasses et fondantes du bois. Nous partons. La ville, sur les rives plates, nous accompagne quelque temps, puis nous laisse avancer à travers une campagne bien cultivée, que bornent au loin des collines. Le soir vient. Les choses s’aplatissent et se simplifient. Une pagode surgit sans relief, entre quelques arbres sans volume. Un hameau taciturne ramasse ses maisons sur pilotis, pareilles à de grosses araignées repliant leurs pattes sous elles. Voici, comme des silhouettes collées sur le fond neutre de l’air, plusieurs petits bateaux de guerre au mouillage, pareils à des jouets, qui sont la flotte militaire chinoise. Une grande jonque passe devant eux en taillant silencieusement les eaux, l’œil d’un fanal déjà ouvert à son avant. Les collines lointaines ne sont plus qu’une suite de bosses rondes et douces, d’un noir fluide et laqué, sur le fond orangé du couchant. A mesure que la terre se résume et s’humilie, le ciel devient plus impérieux et plus fascinant. C’est l’instant où l’aspect local des paysages se replie et s’abîme dans l’universel où tous les détails qui, pendant le jour, nous avaient amusés de leurs parades, s’en vont, en emportant leurs