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Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/910

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images sur la guerre civile en Irlande, la famine en Europe centrale et l’écroulement des trônes.


M. Arnold Bennett est aujourd’hui un des « jeunes romanciers » les plus considérables de l’Angleterre, et l’un de ceux dont les livres font le plus parler d’eux dans le monde. Il a déjà écrit plus de quarante volumes, dont une vingtaine de romans, sans parler des nouvelles et des pièces de théâtre. Sa réputation commence à franchir le détroit ; on nous a donné en français au moins deux de ses livres. Critique, moraliste, essayiste, satirique, l’auteur de Clayhanger et des études des Cinq villes est une des figures marquantes de la nouvelle génération, celle qui suit la grande époque des Kipling, des Stevenson et des Conrad, et qui vient tout de suite après les Chesterton et les Galsworthy. Les deux pages du roman dont je viens de traduire le début, caractérisent sa manière vive, alerte, brillante, non exempte de recherche et de préciosité. Le livre a eu en Angleterre le plus grand succès de l’année. À peine paru, il s’en est enlevé huit éditions en huit jours.

Le fait est que le sujet de ce roman, Mr. Prohack, est un de ceux qui ne pouvaient manquer aujourd’hui leur effet. Le premier chapitre s’intitule : Les nouveaux pauvres. Dans tous les pays de l’univers où les anciennes classes moyennes, qui faisaient depuis un siècle la force de l’État, traversent des conditions gênées, où les petits rentiers, les fonctionnaires, les intellectuels, les professions libérales, pour salaire de l’immense effort et des sacrifices qu’ils ont consentis pendant la guerre, se trouvent réduits à déchoir et à former les rangs d’une nouvelle sorte de prolétariat, un pareil énoncé sera aussitôt compris. On entre dans le vif de l’actualité. On voit le digne M. Prohack, modèle des bureaucrates, type des vertus domestiques, et parangon modeste des serviteurs de l’État, prendre son petit déjeuner dans sa salle à manger médiocrement chauffée, en badinant avec sa femme, quadragénaire aimable et grasse, descendue, en peignoir de cachemire jaune, pour assister son mari dans le premier acte solennel de toute journée anglaise. Il faut se rappeler ce qu’est le breakfast britannique, pour comprendre la valeur quasi sacramentelle de cette fonction fondamentale de la vie.

— Ce café est de l’eau claire, dit M. Prohack.

— Laisse-moi le goûter.