nouveaux riches, toutes les fois qu’il y a eu avènement en masse d’une classe sociale, par déchéance ou ruine de la classe supérieure et par bouleversement de la propriété ; et c’est ce qui distingue le nouveau riche du parvenu. Ces phénomènes sont ordinaires en temps de troubles prolongés : acquéreurs de biens nationaux, munitionnaires de la République, fournisseurs des armées de l’Empire, spéculateurs, agioteurs, requins de toute espèce, ce n’est pas d’aujourd’hui qu’est née la race des profiteurs. Elle peut revêtir les costumes les plus divers, et s’adapter, selon l’occasion, à toutes les formes du commerce : qu’on songe aux nouveaux riches de Balzac, à toutes les variétés de cette faune féroce, les Crevel, les Sauviat, les Grandet, les Graslin, et jusqu’à ce pauvre imbécile de César Birotteau. Tous ne sont pas nécessairement des canailles ou des monstres : mais tous ont ce trait commun d’être partis de rien ; s’ils doivent beaucoup aux circonstances, ils n’en sont pas moins de ceux qui se sont faits tout seuls. Ils peuvent être des sots ou des hommes de génie ; mais on les reconnaît tous à leur vulgarité. Ces traits n’ont pas changé : on les retrouverait de nos jours chez les chaudronniers ou chez les parfumeurs, chez les marchands de bois ou de boites de conserves, chez tous ceux qui ont eu le flair d’acheter ou de vendre pendant que les autres se battaient, et de faire leurs affaires quand les niais se faisaient tuer.
Qui ne voit que M. Prohack est tout le contraire d’un self-made man ? Ce monsieur, dressé par son père, élevé dès l’enfance dans les pures traditions de la discipline britannique, ce membre-né d’un club extrêmement distingué, ce bureaucrate considéré, peut être comblé impunément de millions par la Providence, ou par le caprice de M. Bennett : il ne peut pas être un nouveau riche. Ajoutez par surcroît que M. Bennett s’est plu à l’orner d’une philosophie indulgente et à lui faire tenir en toute occasion une abondance de discours fleuris, où il est difficile de ne pas soupçonner un reflet chatoyant de M. Anatole France ; après cela, M. Bennett a beau nous laisser entrevoir que les millions de son héros proviennent de tripotages ou de bénéfices de guerre, opérés à Cincinnati ; il ne réussit pas à créer un moment l’illusion que son M. Prohack soit quelque chose de réel. C’est un personnage de fantaisie, une espèce de fantoche aimable, disert, un peu prolixe. Ce n’est même pas l’ombre d’un nouveau riche.