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une enquête aux pays du levant.

si je me les rappelle ! On en a fait des caleçons, des chemises, et j’ai vu indéfiniment leurs couleurs infernales sur le dos de tous les braves gens de Ghazir… Oui, Renan, entretenait de bonnes relations avec les Jésuites. Vous pouvez voir dans son Rapport qu’il faisait cas de leurs connaissances archéologiques. Henriette était revenue enchantée d’une visite chez le patriarche au couvent de Berkeké. Le frère et la sœur s’appliquaient à ne pas froisser les personnes du pays, et faisaient les actes extérieurs de la religion. Je me rappelle comment, l’un et l’autre, souvent, tenaient leur chapelet dans leurs mains… Dans ce temps-là, ces populations étaient très pieuses. Aujourd’hui, la loge maçonnique…

À tous instants, mon parfait compagnon, entraîné par l’abondance de ses souvenirs et de ses lectures, par la richesse de ses expériences, après tant d’années passées en Orient, voudrait m’ouvrir de nouvelles curiosités, mais je ne le suis pas, je refuse de l’entendre, je le ramène avec vivacité à notre enquête.

— Gaillardot, occupons-nous aujourd’hui de Renan à Ghazir et à Amschit, et de rien d’autre ! Voici des lieux où je passe trop peu d’heures : il ne faut pas que vous m’en écartiez.

Et le bon M. Gaillardot de me donner de nouveaux détails, qui m’amenaient à de nouvelles questions, si bien qu’en arrivant à Beyrouth il me fit le grand plaisir de me retenir à diner. Il voulait mettre sous mes yeux la précieuse correspondance que son père, toute sa vie, a entretenue avec Renan. Vous pensez si je me réjouissais !


Mme Gaillardot est une Syrienne, élevée chez les Dames de Nazareth de Beyrouth. Il eût été bien avantageux pour moi qu’il me fut permis plus souvent, dans ce trop court voyage, d’approcher de telles personnes, qui sont les plus capables de nous faire comprendre, par leur conversation et, déjà, par leur seule présence, ce qu’est cette civilisation actuelle de l’Orient chrétien. Un état d’esprit tout à l’opposé de celui d’une Henriette Renan. Mlle Renan était tout à fait antireligieuse. Mme Renan d’ailleurs ne l’était pas moins. L’une et l’autre avec moins de nuances que leur frère et mari. Mme Renan disait à sa belle-sœur : « Tu verras, Henriette, que Renan finira dans la peau d’un moine. » Au jugement de M. Gaillardot, c’est Henriette qui