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délices à vous offrir, l’expansion en sera d’autant plus grande. Depuis huit jours, mes heures ont appartenu à des étrangères, qu’il m’a fallu distraire toute la journée ; j’en suis toute sèche et toute hébétée. Il me faut aller bien avant en moi-même pour retrouver quelque chose de bon. Il faut m’y suivre, si vous voulez avoir part aux douceurs que mon cœur vous garde. Je n’ai la faculté de rien exprimer aujourd’hui. Ivan a son Journal des Enfants, merci, je ne voulais pas vous occuper de cela.


Donc, si Honoré ne trouve pas son papier à Besançon, il est bien entendu qu’il se rabattra sur Angoulême et viendra jusqu’à la Poudrerie. Pas plus qu’Angoulême, la Poudrerie n’aura sa visite. Le but réel de son voyage n’est pas Besançon, mais Neuchâtel, où, le 23 septembre, il rejoindra la mystérieuse étrangère qui doit lui faire oublier les tortures amoureuses d’Aix et l’insensible marquise de Castries. Et lorsqu’il l’aura rejointe, il écrira, pour sa sœur Laure, dans un délire de joie et d’orgueil : « L’essentiel est que nous avons vingt-sept ans, que nous sommes belle par admiration, que nous possédons les plus beaux cheveux noirs du monde, la peau suave et délicieusement fine des brunes, que nous avons une petite main d’amour, un cœur de vingt-sept ans, naïf : une vraie Mme de Lignolles [1], imprudente au point de se jeter à mon cou devant tout le monde. Je ne te parle pas des richesses colossales. Qu’est-ce que c’est que cela devant un chef-d’œuvre de beauté, que je ne puis comparer qu’à la princesse Bellejoyeuse [2], en infiniment mieux ? Un œil traînant, qui, lorsqu’il se met ensemble, devient d’une splendeur voluptueuse. J’ai été enivré d’amour [3]. »

Il fut plus réservé vis à vis de Mme Carraud. La longue lettre qu’il lui écrit dès son retour de Neuchâtel à Paris, le 5 octobre, ne contient aucune confidence, pas même une allusion à sa nouvelle idole, Ève de Hanska, née comtesse Rzewuska, l’Étrangère. Il n’est question dans ces huit pages que de papier et de marchands de papier [4]. Balzac n’a pas trouvé de papier à Besançon, il devra donc se retourner vers M. Calluau, le fabricant d’Angoulême, pour lequel il rédige de minutieuses instructions sur la fabrication, la dimension, le poids, la quantité, le prix du papier. Quant à l’entreprise financière elle-même, les actions sont de 27 000 francs divisées en coupures de 3 000 francs. Surville a une action qu’il a partagée avec Borget, Mme de Balzac mère, Henri de Balzac, frère d’Honoré et Honoré lui-même, au total

  1. Dans les Amours de Faublas.
  2. Princesse Belgiojoso.
  3. Vicomte de Lovenjoul, Un roman d’amour, p. 80.
  4. Correspondance, I, 255.