Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

derrière moi et j’entendis nommer M. Bohain [1] ; je me suis vivement retournée et me suis enquise du personnage. C’est le vôtre dont il était question ; mais, mon cher Honoré, le connaissez-vous bien, ce M. Bohain ? Savez-vous quel renom il a ? Savez-vous ce que partout on raconte de lui ? Avez-vous bien mûri votre projet d’association, et savez-vous le sort d’une signature accolée à la sienne ? Mon Dieu ! je vous voudrais riche pour tout au monde, mais il faut saillir en relief au milieu de son or et reluire plus que lui-même, — et, quoique votre entreprise, dans l’hypothèse la plus malheureuse, vous nuira plus qu’à tout autre, et que la plus grande somme de mauvaises chances soit de votre côté, encore faut-il que votre association ne soulève aucune prévention contre vous, inconnu comme spéculateur. Je vous assure que tout ce que j’ai entendu me fait croire fortement que le nom de ce collaborateur suffira pour paralyser vos abonnements, s’il est connu. Je l’ai dit à Auguste, le jour de son arrivée ; il m’a dit que vous le saviez. Mais ce n’est pas possible ; vous ne le connaissez pas ; vous ne pouvez pas concevoir une association avec un tel homme. S’il était actionnaire payant, ce serait bien différent ; son argent aurait la valeur de tout autre, dès l’instant que son influence personnelle cesserait. Je vous parle de cette peine nouvelle, car c’en est une pour moi, et une vraie, de vous sentir compromis, vous déjà si calomnié. On brave une calomnie, mais une vérité ! En vain vous vous retrancherez derrière vos bonnes intentions, si l’on sait que vous le connaissiez d’avance !

Nous vous espérons ici, et ce seront des jours brillants dans notre hiver que ceux que vous nous consacrerez. Ne vous laissez pas prendre par la gelée, vous n’auriez plus le courage de vous embarquer. Donnez-moi donc quelque indice sur Laure ; je lui a écrit un vrai volume ; je crois qu’elle a eu peur, et qu’elle ne veut pas me provoquer de nouveau.

Je n’ai point traité le mariage avec Thérèse ; je lui ai dit seulement que je savais qui l’épouserait. J’ai compté sur sa curiosité et son imagination, mais elle ne m’a pas encore reparlé de cela. Il est vrai qu’elle est observée avec une attention toute offensante, et pour elle, et pour moi. Si vous veniez ici, vous pourriez bien facilement lui parler, même devant Mme Rose.

  1. Journaliste, grand brasseur d’affaires, directeur de l’Europe littéraire et auparavant du Figaro. Balzac donna, dit-on, quelques-uns de ses traits à Mercadet.