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comme je ne vois pas trop en quoi ce monsieur peut servir au succès de votre affaire, je me demande pourquoi vous avez été l’exhumer du tas de boue où il gisait ; à moins, je le redis, que vous n’ayez voulu le réhabiliter, et alors gloire à vous, car il y a bonne action et absence d’intérêt personnel. Mais, grondez-moi donc de peser sur tous vos soucis, comme si j’avais plaisir à vous les faire bien sentir. Oh ! mon Dieu, non, c’est que je souffre tant, quand je vois des raisons, quelque spécieuses qu’elles soient, aux sottises que l’on débite sur vous ? Honoré, bien cher, je suis toute dévouée à ce qui peut vous être utile, agréable, à tout ce qui peut vous servir en quelque chose. Quel que soit l’événement qui vous menace, mon cœur et ma maison sont vôtres ; vous pouvez y déposer tout ce que vous voudrez, sans crainte d’importunité, sans crainte d’indiscrétion ; pas une question ne vous sera adressée, ni par moi, ni par les miens, pas un regard interrogateur. Si même il s’agissait d’un service dont le motif vous répugnât ou vous embarrassât à exposer, vous pouvez résumer la question le plus succinctement possible, tout matériellement. Que je sache en quoi vous obliger, je ne veux pas savoir pourquoi je vous oblige. Usez-en mieux qu’avec vous-même, je suis votre amie ! N’ayez recours qu’à moi dans votre embarras. Je voudrais pouvoir vous faire comprendre combien je vous suis acquise. Venez le plus tôt que vous le pourrez ; les truffes sont bonnes cette année, je vous en ferai manger tant que vous en voudrez.

Adieu, j’ai à m’occuper encore de mon pauvre protégé. Honoré, pensez qu’ils ont faim tous les trois ! L’artiste vous aime bien ; Carraud le pistonne, en dépit de l’inspiration ; nous vous aimons bien aussi, nous.

J’espère, l’an prochain, vous recevoir à Frapesle, il faut que vous le voyiez. Adieu.

Pendant qu’à Paris un labeur intense clouait Balzac à sa table de travail, M. Remi Tourangin, père de Mme Carraud, mourait à Frapesle, et Balzac en apprenait la nouvelle par cette lettre de son amie :


Frapesle, le 18 décembre 1833.

Caro, je ne vous ai point écrit depuis longtemps, je travaillais avec ardeur pour vous, et je comptais m’absoudre par là ; mais, au milieu de mes rêves d’avenir, car nous quittons définitivement