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les victoires. Comme nos ancêtres, les habitants de ces contrées pouvaient découvrir des signes dans le rassemblement de ces oiseaux migrateurs. Et les cigognes, ces reines du ciel, n’étaient- elles pas les plus graves augures de cette époque ? Aussi je me demandais ce matin-là : sont-elles venues, sont-elles venues ces légendaires cigognes annonciatrices des saisons d’épopée ?

Au milieu de cette fièvre belliqueuse, mes rêveries s’évanouirent et je sentis peu à peu mes dernières tristesses s’évaporer au vent des hélices...

On parlait beaucoup d’un avion allemand qui cherchait à épouvanter les lignes françaises. A l’aube et au crépuscule, il mitraillait nos fantassins au ras des tranchées. L’aviateur qui le pilotait se proclamait invincible. Il laissait tomber des banderoles portant ce défi : « Aucun Français ne me descendra jamais. » Signé : « Fantôme-As. » Ces nouvelles devaient m’intriguer la veille d’un vol. Je ne me contentai pas de ces informations et courus m’enquérir de façon plus précise auprès du chef d’escadrille. Le lieutenant Hély d’Oissel avait désigné deux appareils pour surveiller Fantôme-As. Il me donna le signalement de cet avion qui portait deux oriflammes noires et lançait des fusées multicolores.

— Surtout, partez de bonne heure, me dit-il, soyez sur les lignes au petit jour.

J’allai m’entendre avec mon pilote, l’adjudant Carré. Tout fut convenu et le lendemain matin, à 4 heures et demie, les moteurs ronflaient. Carré, installé dans l’appareil, me semble plus vif que de coutume et répète précipitamment : « Contact, contact »... Un bond et me voici dans la carlingue en train de vérifier mes mitrailleuses. J’étais encore debout quand l’aéroplane fuyait déjà m’emportant dans les ténèbres... Nous n’étions pas en retard. Pourquoi, Carré, pourquoi tant de hâte ? l’éternité vous pressait !... Les roues se sont détachées du sol et cependant je me croirais immobile sans le glissement des ombres sous mes pieds. De temps en temps un souffle léger nous soulève et nous esquissons une ondulation très suave. Mais je ne me souciais guère à cette heure du bercement des brises. Quoi, qu’y a-t-il ?... On dirait que notre avion d’accompagnement se trouve encore devant le même Bessonneau : une panne, sans doute. Je cherche dans l’espace qui nous environne.