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cette conque dolomitique. Sans cette source, rien de tout cela n’est justifié.

De même que les enfants prédestinés s’essayent à un jeu qui préfigure le sacrement qui les liera, plus tard, l’un à l’autre, la source rit entre les fleurs et le gravier poli, avant de devenir un fleuve. Comment les critiques littéraires et les conservateurs du Musée n’ont-ils vu qu’un hors-d’œuvre de fantaisie dans cette belle étude si savante, géologique et picturale à la fois, d’une vasque de haut sommet, qui est l’un des principaux éléments de la conception du maitre ?

C’est que l’exemplaire de Londres, dont on a beaucoup plus parlé, pour le faire acheter très cher par la National Gallery, n’a pas de source, et qu’il fallait l’étudier seul, pour ne pas être troublé par des détails de cet ordre, dans l’affirmation aventureuse qu’il devait être l’original.

Car, par un phénomène assez singulier, c’est toujours sur des tableaux douteux que la verve des littérateurs s’est le plus exercée. Elle leur prête, en mots, tout ce qui leur manque en peinture, comme on l’a vu pour le Rembrandt du Pecq, qu’il a bien fallu rendre à Aert van Gelder, pour l’Enseigne de Gersaint, pour tant d’autres œuvres vouées aux enchères et sur lesquelles le silence se fait, dès qu’elles ont trouvé un acquéreur définitif.

Mais quel est le peintre, autre que le Vinci, qui aurait exécuté, ici, comme dans la Sainte Anne, cette merveille d’observation et de rendu, où la transparence, la fraîcheur, le calme animé de l’eau sont aussi sensibles que la dureté des stratifications rocheuses, le poli mouillé du gravier, au profond du bassin, et ce rythme du flux intermittent de l’eau, dans le liséré clair qui court sur la roche plate ?

Dans la Sainte Anne, que nul n’a jamais contestée, une même source baigne aussi les bords du cadre pour des fins analogues. Là, Jésus joue avec un agneau qu’il veut chevaucher et contraindre à boire à la source symbolique. L’agneau se débat, mais s’agenouille à son tour et la Vierge s’alarme de même ; elle cherche à retarder l’évolution de ces mystères pleins de menaces. Ainsi, ces deux sources ne sont pas de pures fantaisies de peintre géologue, placées au premier plan pour faire montre d’érudition. Elles sont un précieux élément d’expression dans la symbolique vincienne, si riche d’intentions réalisées ; elles suppléent,