Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Où trouverait-on dans la vie du maître les quatre années consacrées à ce seul travail, en concordance avec l’âge apparent de la prétendue Joconde ? Il faudrait admettre, qu’au plus tard en 1495, l’année même de leur mariage, Francesco del Giocondo eût quitté ses affaires pour se rendre à Milan, où séjournait l’artiste, pour lui demander ce portrait. Occupé au Colosse, après avoir achevé cette Cène dont le Saint Jean a déjà toutes les caractéristiques du type de la Joconde, de la Sainte Anne et du Saint Jean-Baptiste, Léonard était au service de Ludovic Sforza ; il n’aurait pu accepter cette commande, inexécutable pour cette autre cause que Mona Lisa devint aussitôt mère, puisqu’elle perdit, au printemps de 1499, une fillette de deux ans et demi.

Dès la ruine du More, le 2 septembre 1499, Léonard quitte Milan pour Mantoue, où l’appelle Isabelle d’Este qui lui demande son portrait. Il n’y reste que fort peu de temps, puisqu’il note dans ses carnets que, le 13 mars 1500, il est à Venise, d’où il se rendra dans le pays de Cadore et de Frioul, pour y construire des écluses de son invention. C’est ici qu’il faut observer la méthode de Léonard pour peindre un portrait. Il n’a fait d’après la duchesse qu’un dessin aux deux pierres, d’après lequel il compte travailler plus tard à sa peinture. C’est aussi la méthode d’Holbein. Nous voilà loin de ses interminables séances de pose !

On le retrouve, il est vrai, à Florence, en mars 1501 ; mais Mona Lisa a déjà vingt-huit ans, ce qui n’est plus l’âge apparent d’une Italienne dans la Joconde, et l’on sait que le peintre travaille, alors, pour Florimond Robertet à une Vierge au rouet, puis au carton de notre Sainte Anne.

Dès 1502, il est au service de César Borgia qu’il suit, en Romagne, comme ingénieur militaire et cartographe, jusqu’à sa ruine l’année suivante. Ses admirables cartes de Windsor datent de cette époque et confirment qu’il n’a pu peindre ce portrait.

De 1504 à 1506, il séjourne, à nouveau, à Florence ; mais c’est le carton, puis la peinture de la Bataille d’Anghiari qui l’occupent, aux dépens de la Seigneurie, extrêmement stricte sur l’emploi du temps de ses salariés et qui n’eût pas permis cette digression dangereuse. On le sait par sa correspondance, assez aigre, avec Charles d’Amboise qui voulut emprunter l’artiste à Soderini, vers le milieu de 1506. Or, Mona Lisa