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IV

Il nous reste à rapporter comment Léonard fut amené à peindre la Vierge à la source et quelles sont les raisons historiques qui assurent son authenticité.

Lorsque Léonard vint, en 1482, de Florence à Milan, en quête d’un Mécène, il ne fut pas accueilli par Ludovic le More comme un artiste peintre, mais comme un amuseur de cour, à l’esprit curieusement inventif, qui savait ordonner des fêtes inédites et en créer les machineries compliquées. Il n’avait pas encore trente ans. Il sortait, depuis peu, de l’atelier de Verrochio et s’était mis à musarder plus qu’à peindre, bien que Laurent le Magnifique l’eût chargé d’une Adoration des Mages, dont le Botticelli recueillit la commande, après son départ. Mais il était musicien, poète, très bel homme, cavalier accompli et savait plaire sans bassesse. Il apportait un luth d’argent, de forme et de sonorité singulières, rappelant dans ses lignes générales une tête de cheval, qu’il avait présenté à Laurent de Médicis et dont ce prince voulut faire présent à son dangereux voisin de Milan, avec lequel il venait de contracter alliance.

Les carnets du Vinci sont encombrés de croquis de monstres, de bêtes étranges vomissant le feu de toutes parts, en marchant à l’aide de poulies et de cordages commandés par des gens logés à l’intérieur. Ce sont des accessoires de fêtes cherchés et réalisés pour « l’esbatement » des belles dames milanaises, afin de prendre pied à la cour de Milan, comme il en réalisera plus tard à la cour de Léon X, pour l’amusement du Sacré Collège. Sa lettre au More indique, nettement, que ce n’est pas comme artiste qu’il pense à prendre place parmi les salariés du Duc. Car Ludovic n’est que le tuteur de son neveu trop jeune pour régner, et s’il s’est emparé de la régence, il se sent surveillé et ne peut agir à son gré. D’ailleurs, le poste de peintre-ducal était occupé par un honorable artiste, Ambrogio da Predi, dont quelques portraits de femme ont été attribués au Vinci, notamment le fin profil de Béatrice d’Este, en robe de brocart, la tête emprisonnée dans une résille de perles, de l’Ambroisienne, ainsi que deux autres portraits de femme du musée Jacquemart André, et un profil de la collection Arconati-Visconti.

Ces attributions de paléographe avaient pour excuse qu’elles