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de défenseurs. Crions-le bien haut et sans honte : il faut être réactionnaire. C’est le propre de l’homme. Ce qui est naturel, en art, n’est pas le beau ; ce qui est normal, en morale, n’est pas la vertu ; ce qui va de soi, dans une société, n’est pas la culture. Il est extravagant que des gens sentent le besoin de vivre plus vite, comme si la vie ne se chargeait pas elle-même de nous assurer de mourir. » Il faut être conservateur : n’en doutons pas. Réactionnaire ? mais oui ! du moment que la pente est rapide et que tant de furieux poussent à la roue. Un bon réactionnaire est un conservateur à la besogne, quand les fous semblent les plus forts. Et lisons encore M. Thérive : « Il est bien rare… » et, de nos jours, plus rare que jamais… « qu’un écrivain arrive à un tel degré de sagesse que de considérer qu’il est fait pour servir la langue, et non la langue pour ses caprices ; et à un tel degré de bon goût que de comprendre que le comble de l’art est d’utiliser ce qui est, avant d’inventer ce qui n’est point nécessaire. Dans l’ensemble, cette soumission au langage préexistant fut propre aux siècles classiques… » Mais, à présent, « la plupart des littérateurs inexperts nourrissent l’assurance qu’ils doivent créer leur langage de toutes pièces ; comme si on les avait attendus pour écrire enfin, et comme si leur personne ne pouvait s’exprimer par les procédés de leurs devanciers. » Tout cela est extrêmement bien vu. Et j’approuve M. Thérive de démasquer les imposteurs qui affirment que l’évolution de la langue est une espèce de fatalité : cependant ils sont les artisans détestables de cette fatalité, leur ouvrage. « C’est l’écrivain, le responsable ! » dit-il ; et je l’approuve.

Donc, nous sommes les contemporains et les témoins du phénomène que voici en peu de mots : la corruption d’un langage, le plus beau du monde et qui a donné une littérature la plus belle et véritablement exemplaire, notre langage et notre littérature. Assisterons-nous à ce phénomène comme à un malheur inévitable ? Non. Car il est possible d’agir. La preuve : c’est que les mauvais écrivains agissent. La transformation du langage, sa corruption, ne résulte pas de lois analogues aux lois de la gravitation, par exemple. On commet ici une erreur, l’une des plus fréquentes, l’une des plus riches en conséquences, à notre époque : c’est de confondre sous le même nom de science plusieurs études bien différentes, celle de l’astronome, si l’on veut, et celle du linguiste. Or, l’astronome examine et constate le mouvement des étoiles, qui ne dépend d’aucune volonté humaine ; les transformations du langage ne sont pas du même ordre. Et nous savons que les Goncourt ont eu beaucoup d’influence, déplorable,