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quelques dizaines de millions de devises étrangères pour racheter du mark papier à Londres, à New-York, à Amsterdam pour provoquer une hausse factice et temporaire. L’inévitable glissade sur la pente savonnée a déjà repris son cours et sa vitesse. L’opération avait un double objet : d’abord faciliter l’achat dans de meilleures conditions des charbons et des matières premières dont l’industrie a besoin pour suppléer à ce qu’elle ne reçoit plus de la Ruhr ; ensuite faire impression sur l’opinion publique mondiale en lui montrant, comme en un diptyque, la hausse du mark et la baisse du franc. Si la Reichsbank n’y a pas gagné, il est permis de croire que M. Stinnes et consorts n’y ont pas perdu. En tout cas, la manœuvre découvre ce que jusqu’alors les industriels comme le Gouvernement menaient tant de soin à cacher, c’est qu’ils sont possesseurs d’importantes quantités de devises étrangères, dollars, livres, francs, florins, qu’ils peuvent jeter à volonté sur le marché. Le mensonge allemand est démasqué : le Reich peut, quand il le veut, trouver des devises étrangères : il faudra qu’il en trouve pour les réparations.

Mais il faut aussi que le franc soit inattaquable. La crise de la Ruhr a provoqué une dépréciation de notre monnaie. La livre qui, en janvier 1922, cotait 52 francs, en valait 78,53 le 31 janvier 1923. Si nous ne voulons pas dévaler sur la pente dangereuse, il est indispensable que le Parlement et le pays fassent preuve de ce courage fiscal dont les Anglais nous ont donné l’exemple. Certaines influences occultes ne sont certes pas étrangères aux soubresauts capricieux des changes ; il n’en reste pas moins que le change est le baromètre de la confiance, et qu’un pays dont le budget est équilibré, la trésorerie libre, la monnaie saine et la balance commerciale favorable, n’a aucune crise à redouter. Il entre, dans les variations des changes, un élément moral et, parla encore, la crise de la Ruhr est une bataille d’opinion. Pour la gagner, il faut que nous gagnions, chez nous et sur nous-mêmes, une bataille contre l’inflation et le déséquilibre. Je demande la permission de consacrer quelque développement à ce problème aride, mais essentiel, au moment où s’ouvre à la Chambre le débat sur l’équilibre budgétaire (20 février).

Notre budget d’après-guerre est scindé en deux parties : budget ordinaire qui englobe toutes les dépenses dont le contribuable français doit assumer le poids ; budget des dépenses recouvrables dont les charges devraient être supportées par l’Allemagne et sont provisoirement couvertes par l’emprunt. Le Gouvernement va émettre, pour pourvoir à cette seconde partie, treize milliards de bons à