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« le couvent de la lune, » et l’on dit qu’ici existait originairement un couvent, possesseur d’un tableau de la Vierge foulant sous ses pieds le croissant. Était-ce un souvenir d’Astarté vaincue ? Une nostalgie païenne ? Ou bien, dans son enfance, ce coin du monde désirait-il les choses qui ne peuvent s’atteindre ? Ai-je la bonne fortune de m’asseoir pour un jour au pays des lunatiques d’Asie ? Deïr-el-Kamar serait-elle la Lunéville du Liban ? Je suis sûr que Gérard de Nerval est passé par ici. Il faudra qu’au matin j’interroge mon hôte.


Au matin, mon hôte ne me permet pas de continuer mon voyage. Il croit nécessaire que je me repose et que je laisse partir Georges Picot et ses compagnons. Je ne verrai pas l’illumination du Liban depuis Zezine ; je ne verrai pas les enfants d’Azour danser la dabké au son des roseaux… Mais faisons d’une contrariété un plaisir : causons. J’ai des hôtes charmants ; j’ai mille questions à poser : à moi d’organiser une journée profitable, dans cette chambre blanchie à la chaux, toute nue, avec des tapis sur les dalles, et dont la fenêtre embrasse un paysage immense.

— Docteur, d’où vient donc ce grand palais romantique que j’ai visité hier ?

— Nous n’en savons rien de mieux que ce qu’en dit Lamartine.

— Quoi ! Lamartine en parle ?

Vite, ils vont chercher chez un de leurs parents un gros volume, imprimé en petits caractères (Société belge de librairie, Bruxelles, 1840), où l’on trouve toute l’œuvre du poète à cette date. L’exemplaire est couvert de signatures arabes. Et mes hôtes de me lire de belles pages harmonieuses, colorées, odorantes, un peu incertaines, où fermentent les premiers troubles de l’enthousiasme sacré.

Je vais plus loin dans le livre, et je parcours tout ce que le poète a écrit du Liban. Chez un élève de l’Université de Beyrouth, quelle page à lire que celle où le poète nous peint les deux jésuites, pas un de plus à cette date dans tout le Liban, qu’il a vus à Antourah ! « L’un apprend l’arabe et cherche inutilement à convertir quelques Druses des villages voisins : c’est un homme de beaucoup d’esprit et de lumières ; l’autre