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d’Helvétius. Ainsi Albert de Mun, qui fit de la Contre-Révolution son programme, eut pour arrière-grand-père l’auteur de l’Esprit, l’ami de Voltaire, de Grimm, de Diderot, de d’Alembert, le philosophe matérialiste dont le livre, qui subit la triple condamnation du pape, du Parlement et de la Sorbonne, fut brûlé par la main du bourreau : l’hérédité a des secrets encore inconnus de la science. Albert de Mun, élevé au petit collège libre de Versailles, n’étonna pas le monde par le bruit de ses succès scolaires. Il ne fut, de son propre aveu, qu’un écolier médiocre et peu travailleur, mais il lisait beaucoup, et il entassait des notes au cours de ses lectures. Ce goût et cette méthode lui restèrent, et je les retiens au passage parce qu’ils contribuèrent pour une large part à sa formation oratoire, et aussi parce que, devant son fonds à d’autres, il eut des idées générales, mais peu d’idées personnelles. En deux mots, qu’il faut dire pour être impartial, il fut un disciple, il ne fut pas un créateur.

Il entra dans l’armée sans goût spécial et presque par hasard, comme on y entrait, il y a quelque soixante ans, « dans les familles que les révolutions politiques avaient éloignées d’autres carrières, pour y passer quelques années de jeunesse. » Il ne semble pas que l’Ecole de Saint-Cyr ait développé sa vocation : le goût de la carrière militaire lui vint moins par l’étude que par l’action. Sous-lieutenant, puis lieutenant au 3e régiment de chasseurs d’Afrique, il vécut pendant cinq ans, de 1862 à 1867, sur la terre algérienne. Il n’y trouva pas peut-être, malgré les brillants combats où il prit part, tous les risques de l’aventure qu’il avait espérée, mais il resta imprégné de cette lumière de l’Orient qui l’avait tout de suite ébloui, et son âme ardente s’enivra d’une poésie dont ses lettres d’abord, puis ses discours, ont exprimé l’enthousiasme.

Un soir de juillet, ce sous-lieutenant de vingt-trois ans, campé près de Tébessa au milieu des Arabes, pour rechercher les ruines des travaux hydrauliques des Romains, se laisse entraîner dans une rêverie délicieuse. Il subit la fascination de la sublime nature où tout parle à son imagination, « une feuille, une étoile, un coin du ciel, ici un éclat mystérieux, là une ombre profonde. » Son oreille, plus sensible dans l’apaisement de la nuit, lui apporte mille sons que réunit une harmonie éclatante. Cette extase, « où l’âme se détache du corps, »