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ans, l’instrument était au point : M. de Mun s’en servait en artiste, et presque déjà en maître. Il avait l’abondance, l’élégance, la clarté, la souplesse, le rythme. Aucune répétition n’alourdissait ou ne ralentissait le mouvement de son discours. Sa phrase était ample et large, plus riche de souvenirs que d’images, et, par là, plus près de la vie. Elle savait se faire familière pour se rendre plus aisément accessible. La réputation du capitaine orateur était très grande. Elle justifiait le mot de La Bruyère : « Le métier de la parole ressemble en une chose à celui de la guerre ; il y a plus de risque qu’ailleurs, mais la fortune y est plus rapide. » Il s’en faut que la fortune militaire de M. de Mun eût été rapide ! Tout au contraire, sa fortune oratoire s’était développée en un temps très court, mais on le connaîtrait mal si l’on pensait que le choix de sa carrière fut déterminé par des succès d’amour-propre. Il voyait de plus haut et il jugeait de plus loin.

La parole n’était pas, pour M. de Mun, un délassement de l’esprit : c’était une arme. Homme d’action, il ne parlait que pour combattre et pour agir. Quand il renonça à porter l’uniforme dans les réunions où il exposait son œuvre, il n’avait pas encore pris le parti de quitter l’armée. Il sentait que sa démission lui imposerait une candidature législative et il lui en coûtait « d’abandonner l’épée pour une tribune douteuse. » Mais, d’un autre côté, cette tribune l’attirait. N’était-elle pas le théâtre où il pourrait affirmer ses idées avec le plus d’éclat et le champ de bataille où l’Eglise, qu’il croyait menacée, devait être défendue ? Et enfin, l’ambition lui était-elle interdite de « déployer au milieu des luttes parlementaires l’ardeur oratoire jusque-là dépensée au sein des réunions privées ? » Entre les conseils contradictoires qui lui venaient de ses amis, sa conscience, le seul maître qu’il eût jamais reconnu, se prononça pour la démission, dont un mandat législatif devait être l’inévitable conséquence.


Cette démission, acceptée en décembre 1875, lui rendit tous les droits du citoyen. Moins de trois mois après, le 5 mars 1876, il était élu député de Pontivy. Entre ces deux événements, M. de Mun avait profité de sa liberté pour prononcer au Havre,