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saints, ou du moins pour ceux qui travaillent avec humilité et componction à le devenir. » Cela s’écrivit en 1843. Depuis, il a fallu reconnaître qu’après tout Sainte-Beuve avait travaillé à la gloire de Port-Royal plus sûrement que tous les pieux hagiographes. Gazier ne lui a jamais pardonné telle page où il laisse voir l’agacement que lui cause la manie disputeuse des docteurs jansénistes, telle autre où il parle du « déclin » de Port-Royal. Il y a quelques années, l’ouvrage de Sainte-Beuve ne figurait pas encore sur les rayons de l’oratoire-musée de Port-Royal, où s’alignent les diverses histoires du jansénisme. Cependant l’ostracisme a cessé. En composant son Histoire du mouvement janséniste, Gazier déclare n’avoir eu d’autre ambition que d’« améliorer » Sainte-Beuve. »

C’est de Sainte-Beuve qu’est venue l’initiation. C’est lui qui, par la sûreté de ses investigations, la vivante beauté de ses tableaux et de ses portraits, la finesse de ses analyses morales, a éveillé les curiosités et les sympathies ; mais les curiosités ne se sont pas lassées, les sympathies se sont avivées. Les six volumes de Sainte-Beuve continuent d’enchanter une foule de lecteurs. Il n’est point de site plus visité que le vallon où fut le monastère, et si les milliers de visiteurs qui le traversent par un dimanche d’été, n’ont pas, tous, les pieuses pensées qui animaient les pèlerins d’autrefois, on voit souvent des regards graves et attentifs se fixer sur le masque mortuaire de la mère Angélique.

Nous ne demandons pas tous à Port-Royal les mêmes enseignements et les mêmes émotions, mais il peut à chacun de nous donner une leçon, suggérer une méditation. Pour le moraliste, c’est une magnifique école d’énergie et d’abnégation, fondée sur la doctrine en apparence la plus désespérante, en réalité la plus propre à engendrer l’héroïsme, car moins l’homme se sent libre, plus il tend sa volonté. Pour l’historien, c’est un des sommets du XVIIe siècle ; or, chaque jour, nous sentons davantage que le génie de la France a, ce temps-là, réalisé son chef-d’œuvre. À l’écrivain Port-Royal apprend le goût et la décence, car « seul, dit Renan, il a connu la simple allure de la belle antiquité, ce style qui laisse chacun à sa taille, ne donne pas les airs du génie à celui qui n’en a pas, mais, comme un juste vêtement, est l’exacte mesure de la pensée, et ne cherche d’autre élégance que celle qui résulte d’une