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ni dignité, ni rien : chair à servitude ou chair à conquête. De loin, se préparait, de part et d’autre, la non-résistance à l’invasion et la non-résistance au déséquilibre social, c’est-à-dire la conquête étrangère et ce régime nouveau qui devait être la féodalité.

« La société était aristocratique et, par un rare malheur, l’aristocratie était sans force. Cela fait pressentir les événements qui vont suivre. Comme la classe moyenne est peu nombreuse et l’aristocratie peu guerrière, il sera de toute nécessité qu’on prenne pour soldats des étrangers. Il se produira alors des faits qui semblent aujourd’hui presque incompréhensibles (ceci est écrit en 1877), mais qui étaient alors inévitables : on verra le Gouvernement impérial être réduit à enrôler des Germains et les grands propriétaires provinciaux accueillir tous les barbares qui promettront de les défendre. La richesse d’un côté, la force physique de l’autre, voilà une mauvaise constitution pour une société. Il ne faudra donc ni un ennemi bien puissant, ni une bien terrible catastrophe pour renverser l’Empire romain. » Dégageons la leçon permanente : la mort d’une société, c’est la désertion du devoir civique, désertion du devoir militaire, désertion du travail, désertion du devoir fiscal, désertion du devoir familial. Fustel de Coulanges écrit avec une profonde mélancolie : « Nous ne possédons aucun document qui prouve d’une manière bien certaine la décroissance de la race ; mais il est impossible d’étudier l’histoire de ce temps, sans être obsédé de la pensée que l’espèce humaine diminuait. »

Le tableau de l’invasion germanique, j’allais dire de l’infiltration germanique, tel que le peint Fustel de Coulanges, comme conséquence de la ruine spontanée de l’Empire, est classique. Tout à fait dégagé des querelles modernes, observant, avec raison, que « chacun, suivant ses haines, a rabaissé ou exalté ces Germains, comme s’ils étaient les pères des Allemands d’aujourd’hui, l’historien s’en tient aux faits. Les faits sont les suivants : des bandes, issues elles-mêmes d’une Germanie en décomposition, ont pénétré dans l’Empire, tantôt appelées par les Romains, tantôt à la faveur des luttes civiles ou religieuses, tantôt se glissant sans trouver d’obstacles ou encore brisant les rares barrières qui leur étaient opposées. « La lutte était entre l’Empire romain et le régime de la bande guerrière, c’est-à-dire entre l’état sédentaire et l’état nomade... Quand ce mal eut