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Selon moi, le cortège qui parlait de Byblos n’est pas entièrement dispersé.

— Certainement non, me dit-il.

— Votre Grandeur en a vu des débris ?

— Quand j’étais prêtre, dans un petit village du côté de Mossoul.

— Ah ! Mossoul, monseigneur, que j’aimerais y aller !

— C’est une bonne ville, sauf deux mois en été. On y trouve des citrons, des pistaches, des raisins et la neige des montagnes pour la boisson. Le Tigre aussi est un beau fleuve.

— Et qu’a vu Votre Grandeur des mystères antiques, au pays de Mossoul ?

— J’ai vu les Yézidis adorer le démon. Ils en ont peur et le flattent. Dieu est d’une bonté parfaite, disent-ils : que pouvons-nous craindre de lui ? Mais le Diable, c’est une autre histoire ! on ne saurait trop chercher à lui plaire. Ils tremblent de le nommer. Ils l’appellent le Roi Paon, et se le représentent sous la forme de cette bête façonnée en airain. Chaque année, dans la première semaine d’avril, leur grand-prêtre promène le Roi Paon à travers les villages. On était venu m’avertir. J’étais monté sur un toit. Je les ai vus venir. Tout le jour, ils se sont excités ; ils ont bu, chanté, dansé et processionné derrière le paon ; et puis, le soir, ils se sont enfermés dans une maison. Alors ils ont éteint les lumières…

— J’aimerais causer avec ces Yézidis.

— Ils vous recevraient bien. Ce sont de braves gens, peu nombreux, bousculés par les musulmans. Ils disent qu’un jour ils se feront chrétiens.

— Quel ennui d’être empêché d’aller jusqu’à eux !

— En voulez-vous voir un ?

-— Ah ! monseigneur !

— Eh bien ! je vais faire venir pour vous un de mes jeunes clercs, qui est le fils cadet du grand prêtre des Yézidis de Bachiga. Son frère aîné succédera à leur père dans la prêtrise ; lui-même n’avait pas d’avenir, son père refusait de lui confier les livres sacrés, et jugeait qu’il n’avait pas une assez belle voix pour officier. Je lui ai dit : « C’est une folie d’adorer un paon ; vous n’avez qu’à vous détacher de ce culte, et à venir avec nous. » Bref, la grâce aidant, il s’est converti. Personne mieux que lui ne peut vous renseigner.