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à l’idée d’une guerre ? Or cette guerre, tous ceux qui pensaient comme Spindler, la redoutaient pour l’Alsace qui serait le théâtre de la lutte, et pour la France, qui, à leur avis, devait être fatalement écrasée : car ils avaient sous les yeux la formidable machine de guerre montée par l’Allemagne.

On retrouvera ces idées exprimées dans les premières pages du journal de M. Spindler, avec une franchise qui peut-être scandalisera le lecteur français. Mais est-il une meilleure preuve de la bonne foi de M. Spindler ? Si nous ignorions ce qu’il pensait au mois d’août 1914, la suite de son journal serait bien moins émouvante.

Voici un Alsacien, pacifiste si jamais il en fut : il est rattaché à la France par des affinités sentimentales et des traditions de famille, mais il n’éprouve aucune animosité contre l’Allemagne où justice est rendue à son talent ; il a de bons amis parmi les immigrés ; son rêve est de voir la France se rapprocher de l’Allemagne et vivre en bonne intelligence avec elle. Le conflit éclate : en moins de trois mois, M. Spindler perd toutes ses illusions sur l’Allemagne ; il juge la discipline et l’ordre allemands ; il maudit la guerre, mais il commence à en comprendre le sens ; il fait mieux qu’espérer la victoire de la France, il y croit. Et cette évolution qui se passe en lui-même, il la constate, rapide et profonde, chez tous ceux qui l’entourent, chez les siens, chez les paysans, chez les bourgeois, dans tout le peuple de l’Alsace. Enfin il avoue son erreur et reconnaît qu’après tout, c’était son ami Laugel qui avait raison. Il passera quatre ans avec la même foi et la même espérance. Au jour de la libération, nul n’entonnera le Te Deum d’un cœur plus joyeux et plus reconnaissant.

C’est ainsi que ce journal nous contera toute l’histoire psychologique de l’Alsace pendant la guerre.


ANDRE HALLAYS.