Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/523

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

D’un autre coté on travaille jour et nuit à des tranchées entre Niedernai et Obernai ; on a même démoli le toit d’une maison pour y installer des mitrailleuses, et percé de meurtrières les murs de clôture ; cela indiquerait que l’on s’attend à une attaque venant de la direction du Haut-Rhin. Pourtant nos journaux ont annoncé une grande victoire des Allemands à Cernay : ils auraient repoussé trois corps d’armée français. C’est à n’y rien comprendre ! Comme le disait mon ami P., nous saurons la vérité par les journaux américains, c’est-à-dire dans six mois. Tout ce que nous lisons ici est faussé, truqué...

Je crains bien que la France ne résiste pas au choc qui se prépare. Je veux bien admettre que le terrain sur lequel va se porter la bataille est familier aux Français qui ont dû étudier le problème sous toutes ses faces, mais les Allemands ont à leur disposition un instrument de guerre tellement formidable, ils ont dépensé à le perfectionner tant de milliards depuis quarante ans, que j’ai idée que rien ne leur résistera. Puis la guerre est populaire en Allemagne, tandis qu’elle ne l’est pas en France.


12 août. — Cet après-midi, j’ai eu la visite du maire d’Ottrott. Nous avons cherché à nous rendre compte des changements que produirait, au point de vue alsacien, une victoire des Allemands. Elle aurait pour premier résultat de lier l’Alsace irrévocablement à l’Empire. L’esprit frondeur qu’on tolérait jusqu’à présent serait mis hors la loi. Il est peu probable que les Français qui, dans les dernières années, avaient pris l’habitude de revenir aux pays annexés voudraient, après une défaite, rechercher le contact de leurs vainqueurs. Ils renonceraient donc à ces voyages, et sous ce rapport nous perdrions évidemment. L’Alsace ne serait plus un champ d’observation pour l’historien curieux d’y retrouver les traces des deux cultures qui s’y sont fixées. Au bout de quelques années, elle deviendrait semblable à toute autre province d’Allemagne. Peut-être, — et ce serait sans doute un avantage appréciable, — le vainqueur imposerait-il un désarmement partiel et se l’imposerait-il à lui-même.