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c’était le chancelier. Tous les autres voulaient que cette question d’Alsace-Lorraine fût une bonne fois liquidée, et ils parlaient d’une guerre comme de l’unique moyen d’arriver à une prompte solution : tout se terminerait par une entente avec la France. C’est ce parti-là qui a eu raison des hésitations de l’Empereur et du chancelier et qui nous vaut la guerre.

Si, comme les apparences le font croire, la France était vaincue, ils arriveraient sans doute à ce résultat. Maintenant, les choses étant ainsi, n’eût-il pas été préférable pour la France d’accepter l’alliance que l’Empereur lui offrait, et y mettre des conditions, plutôt que de se la laisser imposer après l’humiliation d’une défaite ?

J’avoue que bien d’autres de mes amis, bons Alsaciens, eussent salué avec satisfaction une alliance franco-allemande où nous aurions été le trait d’union entre ces deux nations. Nous y aurions gagné sous tous les rapports, et je n’hésite pas à dire qu’en Allemagne cette alliance eût été chaleureusement saluée par tout le parti démocratique. La crainte d’un envahissement pacifique de la France par les Allemands n’eût guère été à craindre ; l’Allemand perd très facilement sa nationalité au contact d’une autre, et il était tout disposé à faire sien le dicton que tout homme a deux patries, la sienne et la France. Quelques-uns d’entre nous se sont bêtement acharnés sur certains travers des Allemands dont on a exagéré l’importance ; ils ne m’ont jamais empêché de trouver parmi eux d’excellents amis qui, dans les discussions, apportaient un esprit large et accessible aux arguments adverses.

Ces réflexions sont provoquées chez moi par la lecture des journaux d’aujourd’hui qui relatent de nouveaux succès des Allemands : la prise de Bruxelles, trois généraux français prisonniers, etc. Nos journaux jubilent et se plaisent à faire le relevé des nombreux ennemis auxquels l’Allemagne fait victorieusement face : l’Angleterre, la France, la Russie, la Belgique, le Japon, la Serbie, le Monténégro. En réalité, l’Allemagne n’en a pour le moment qu’un seul à combattre, et c’est la France. Toute la partie est concentrée sur les champs de bataille français.

La Belgique ne compte pas. Ce malheureux pays ne pensait pas plus à être englobé dans cette guerre que la planète Mars. Il s’est vu envahi tout à coup par un ennemi formidablement