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est-ce juste, est-ce fondé ? Cela le surprend, et il se demande pourquoi.

« Ecrire l’histoire de France, ce fut une façon de travailler pour un parti et de combattre un adversaire. L’histoire est ainsi devenue, chez nous, une sorte de guerre civile en permanence... Le véritable patriotisme, ce n’est pas l’amour du sol, c’est l’amour du passé, c’est le respect des générations qui nous ont précédés. Nos historiens ne nous apprennent qu’à les maudire et ne nous recommandent que de ne pas leur ressembler. Ils brisent la tradition française et ils s’imaginent qu’il restera un patriotisme français. Ils vont répétant que l’étranger vaut mieux que la France, et ils se figurent qu’on aimera la France. »

C’est donc être juste et impartial de remettre non seulement l’histoire de France, mais l’histoire européenne dans sa vraie voie. Le patriotisme historique de Fustel de Coulanges vient d’un sentiment profond de la vérité. Ce n’est pas son amour du pays qui l’avertit, c’est sa science. Il a flairé le grand mensonge de l’histoire moderne ; il l’a saisi, déniché, tiré à la lumière. Travail herculéen.

De là aussi, ce labeur assidu, cette torture anxieuse et prolongée qui fut la vie de l’homme sacrifié et dévoué... Mais, s’il se trompait ; s’il n’avait saisi, comme tant d’autres, que la vérité agréable, quelles conséquences, quelle diminution pour lui-même et pour la France ! Son scrupule redoublait, sa conscience le rongeait, il appelait sa critique à l’aide : « Le texte ! le texte ! A tout prix, la vérité. »

Avançant ainsi parmi les détracteurs, les envieux, mais aussi les disciples de plus en plus nombreux qui se rangeaient autour de lui, il traînait le poids de l’œuvre formidable qui ne s’achevait toujours pas. Il tomba, mais en touchant le but. L’œuvre est là, la plus forte sans doute, la plus vaste et la plus noble qu’ait conçue et réalisée l’histoire moderne, et toute pleine d’antiquité et d’humanité.


G. HANOTAUX.