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plus sombres, et on se demande ce qui sortira de tout ce gâchis. Et toujours la pluie fait rage ! Si seulement elle pouvait dégénérer en déluge et forcer, comme après Valmy, les envahisseurs à déguerpir au plus vite. Mais l’histoire n’aime pas enregistrer les répétitions d’un même fait ; et puis, ce sont si souvent les coquins qui réussissent !


LE REVIREMENT DE L’ALSACE

24 septembre. — Je passe à Bœrsch chez Hück. La vieille mère âgée de quatre-vingt-neuf ans est assise au coin du feu dans l’attitude d’une personne qui n’a plus souci des affaires de ce monde. Je lui exprime mes condoléances pour la mort de son petit-fils, le jeune Andlauer. Alors elle se met à parler, mais c’est pour maudire les Allemands. Pourtant, ce sont les Français qui lui ont tué son petit-fils ; elle ne leur en veut pas, au contraire !...

Le même esprit souffle à Strasbourg, dans les campagnes, dans les petites villes, dans la maison même de M. Spindler.


30 septembre. — ... Je vais à Strasbourg : nous avons mis cinq heures pour faire un trajet qu’avant la guerre on faisait en une heure. Je me rends à La Vignette pour retenir une chambre. Mon ami le père N..., propriétaire de ce vieil hôtel, a l’air tout guilleret et m’attire aussitôt dans un coin pour me communiquer la grande nouvelle du jour : le Kronprinz a été fait prisonnier avec toute son armée. On les a laissés s’engager entre les forts de Verdun et on les a cernés. « Pas plus difficile que cela ! Ce sont de fameux lapins que les Français et ils ont plus d’un tour dans leur sac ! » Comme j’ai l’air de douter un peu de l’authenticité de la nouvelle, il me dit la tenir d’une personne très bien informée...

Je m’en vais, pas très convaincu, je l’avoue... Au cours de ma promenade à travers la ville, je rencontre tour à tour des amis Alsaciens et dos Allemands. Tous sont avides de nouvelles et s’imaginent qu’étant plus à proximité de la frontière, je dois en savoir plus long qu’eux. Je ne manque pas de raconter aux Allemands la façon dont leurs compatriotes wurtembergeois s’étaient conduits chez nous : ils n’ont pas l’air d’y attacher grande importance. L’un d’eux, qui a passé de longues années