Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/544

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

injures dont on les gratifie dans les journaux, depuis la Post jusqu’au Schwarzwælder Bote, les Alsaciens n’ont qu’un désir, c’est de voir les Allemands battus et humiliés. Ces derniers ont réussi, grâce à leur dictature, à annihiler ce que quarante-quatre ans d’administration civile avaient fait pour le rapprochement, et c’est en neuf semaines qu’on a obtenu ce magnifique résultat !

Si nous avions la liberté de la presse, on en entendrait de belles ! Pas de village où journellement les civils ne soient victimes d’abus de pouvoir. Mais, pour le moment, notre presse n’est là que pour exciter l’opinion publique contre Belges, Anglais, Français et Russes, par toute espèce de récits de blessés, de prisonniers, récits qui, — s’ils ne sont pas inventés de toutes pièces, — n’ont qu’un but : détourner l’attention des massacres belges, du bombardement des villes ouvertes, de la destruction de la cathédrale de Reims, etc...


11 octobre. — Paul me raconte comment des mitrailleuses ont été hissées sur la cathédrale. Les soldats qui avaient fait ce travail, avaient dû prêter serment de n’en point souffler mot. Mais, comme des passants avaient assisté à la manœuvre, c’était le secret de Polichinelle. Une heure après, tout Strasbourg était au courant et l’on devine les commentaires après le communiqué du 24 septembre racontant, pour justifier le bombardement de la cathédrale de Reims, que les Français avaient établi sur la tour un poste d’observation. Le Simplicissimus avait à ce propos publié une image de la cathédrale de Reims où l’on voyait un gros canon hissé entre les tours. Il me semble que les Allemands réalisent assez bien à Strasbourg ce qu’ils voudraient nous faire accroire pour Reims...


Ces quelques extraits du journal de M. Spindler sont assez significatifs. Mais voici qui va encore mieux nous renseigner sur ce que pensait et souhaitait l’Alsace au milieu du mois d’octobre 1914 : c’est le récit d’une promenade à Sainte-Odile, récit dont la saveur alsacienne est délicieuse. Deux heures de lente montée sous les sapins de la forêt par une matinée d’automne ; au couvent, un bon feu de bois, un déjeuner plantureux dont vous saurez le menu, et un petit verre de framboise ; le bon accueil des deux abbés, maîtres de céans ; enfin, l’assurance que les murs n’ont point d’oreilles et que les gendarmes