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été celle de l’admiration. Il s’est vu plus fort que l’autorité et la politique qui ont tenté vainement de le détruire. » Le XVIIIe siècle, héritier des sentiments hostiles à Richelieu de l’âge précédent, a, plus délibérément encore, accepté la tradition. En vain, les frères Parfaict, eux attentifs davantage, avaient insinué des doutes sur les « vraisemblances » du récit de Pellisson. On ne les écouta pas. Le XIXe siècle allait renchérir en faisant intervenir les raisons politiques. Richelieu, dirent Michelet et Guizot, avait l’été profondément atteint par l’immense succès du Cid, « il avait été le vaincu de la pièce ! » Et un autre ajoutait : le cardinal avait été « frappé à une effroyable profondeur : la blessure devait rester incurable ! »

Richelieu aurait été bien surpris, s’il avilit su le rôle que devait lui faire jouer l’Histoire dans un incident auquel il ne parait avoir prêté qu’une attention minime, et surtout en se voyant accusé d’une telle jalousie à propos du succès de la pièce de théâtre d’un jeune poète ! Il n’était pas jaloux. Le meilleur historien de son ministère, au XVIIIe siècle, le P. Griffet, parlant d’une semblable accusation au sujet des prétendus efforts qu’aurait faits Richelieu pour empêcher le P. Joseph et Mazarin d’être cardinaux, écrivait : « Sa conduite a toujours fait voir qu’il était exempt de cette bassesse de sentiments qui fait craindre le mérite des autres a ceux qui n’en ont pas. »

Si Richelieu n’a pas persécuté Corneille, s’il ne l’a pas haï, s’il l’a, au contraire, admiré, protégé et comblé de faveurs, la vérité paraîtra plus vraisemblable que la légende et mieux à l’honneur de l’illustre ministre et du poète !


LOUIS BATIFFOL.