Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/661

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


N’oubliez pas surtout d’ajouter à leur gloire
Le coquillage où chante une peine illusoire,
Et des fucus encor tout alourdis de sel,

Car il me faut, pieux, dans l’ombre qui s’allonge,
Fidèle à la clarté d’un suave mensonge,
Aux nymphes de la mer élever un autel.

LE LINCEUL


Toute blanche, pareille à l’esprit délivré
De sa gangue charnelle,
Cette mouette errant dans le matin nacré
A caressé les flots des candeurs de son aile.

Mon âme bien longtemps séduite par ses jeux
A suivi ses caprices,
De la plage sonore où, près des chardons bleus,
Des ondes de velours mouraient avec délices.

Mais brusquement l’oiseau, sous le plomb d’un chasseur,
Tomba, parmi les vagues,
Et tout le jour je vis son cadavre obsesseur
Eclairer les sillons marins de pâleurs vagues.

Elle m’assombrissait le faste universel,
Quoique aperçue à peine,
Cette tache ténue à l’aspect irréel,
Que faisait osciller une houle incertaine.

Les beaux rythmes heureux ne chantaient plus en moi,
Et mes strophes blessées
D’une inerte douleur augmentaient mon émoi :
Quelques gouttes de sang écrasaient mes pensées.

Mais le déclin du jour versa sur mon chagrin
Sa mystique influence :
Le calme vespéral rendit mon cœur serein,
Par sa sombre magie et sa magnificence.

Et je sentis des pleurs monter jusqu’à mes yeux,
O voluptés secrètes,
Quand la mer ne fut plus, sous la pitié des cieux,
Qu’un fluide linceul tissé de violettes.